Chronique d'une amertume.
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le 17 mars 2024
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Depuis l’immense "Maus", on sait que la représentation animalière de situations humaines dramatiques, psychologiquement ou physiquement éprouvantes, loin d’affaiblir l’impact d’un récit sur le lecteur, le rend encore plus marquant. Est-ce parce que le récit – très réaliste, très précis – se double automatiquement d’une représentation symbolique qui offre la simultanéité d’un premier degré – où l’on souffre avec les protagonistes – et d’un second, un véritable espace de réflexion dans ce léger recul que permet l’absence de la représentation du visage humain, avec ses codes finalement convenus, facilement stéréotypés ? En tout cas, le magnifique, et poignant "Hors-Saison", de l’auteur américain James Sturm tire le maximum de ce choix, pas si évident, de peindre la réalité accablante de son monde, l’acuité de sa souffrance et de son égarement, en les stylisant.
Personnages canins, donc, ligne – presque – claire, image monochrome – toute une palette de noirs, de blancs et de gris -, et grosses cases (2 par page) à la lisibilité maximale dans un format « à l’italienne », "Hors-Saison" est un ouvrage peu commun, et, ce qui ne gâche rien, un bel objet. Ce récit – autobiographique ? – raconte quelques semaines dans la vie d’un homme ordinaire passant par les affres de la séparation d’avec sa femme, avec laquelle il a vécu une belle histoire d’amour qui s’est banalement usée avec le temps. En parallèle, et c’est là l’un des grands intérêts du livre, ce couple de démocrates qui ont milité activement pour Bernie Sanders doivent affronter le spectre de plus en plus effrayant de l’ascension de Trump dans les sondages, et la crispation d’une Amérique qui se polarise et laisse sourdre ses plus mauvais instincts. Ajoutons la malhonnêteté d’un associé professionnel qui le fait chuter dans l’insécurité financière, voire dans… Mais arrêtons-là pour ne rien spoiler d’une histoire qui, pour être « ordinaire », comme on l’a dit, s’avère en tous points passionnante ! On retiendra particulièrement le dernier chapitre, magnifiquement arrêté sur les efforts d’un chat expectorant une boule de poils : Trump pourra-t-il être recraché de la même façon ? Un couple peut-il renaître d’une telle crise ? Un espoir, aussi ténu soit-il, est toujours permis…
James Sturm bénéficie pour le moment en France d’une notoriété relativement modeste, même s’il a déjà remporté aux USA deux Prix Eisner ! La subtilité de son scénario, montrant combien la vie intime est liée à la vie sociale, combien les grands événements politiques entrent inévitablement en résonance avec la manière dont nous interagissons avec ceux que nous aimons – ou détestons, pour le coup – n’a rien de facile. Conjuguée avec une telle élégance formelle et une clarté de son propos, cette subtilité fait de "Hors-Saison" l’une des plus belles, les plus évidentes découvertes de ces derniers mois.
[Critique écrite en 2020]
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Créée
le 10 juin 2020
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