L'histoire d'une femme brisée qui croyait bien faire

Les comics sont un éternel recommencement. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Et dans le monde des comics, une évolution fondamentale est tôt ou tard effacée, ne serait-ce que par le changement incessant des équipes créatives dont la vision diffère (en témoigne l'interminable cycle des morts/résurrection).

"House of M" est d'abord un travail de commande. Joe Quesada, le big boss de Marvel à l'époque, n'aimait pas ce que Grant Morrison avait mis en place. L'auteur écossais avait établi que les mutants seraient de plus en plus nombreux et à terme supplanteraient l'espèce humaine. Quesada était plutôt nostalgique de l'époque où les mutants étaient en minorité et traqués. Le but premier de cet event est donc avant tout de ramener les mutants en arrière (de la même façon qu'avec Spider-Man). Et pour faire ce boulot ingrat, Quesada décide de faire appel à un auteur encore peu connu : Brian Michael Bendis. À l'époque, Bendis est surtout connu pour son run sur Daredevil, il vient tout juste d'arriver sur Avengers et il a déjà frappé fort avec Avengers : Disassembled. House of M en est la suite directe.

La Sorcière Rouge, ayant sombré dans la folie, vient de buter plusieurs membres de l'équipe et a été neutralisée par Stephen Strange et Charles Xavier. Gardée inconsciente auprès de son père sur Genosha, ses pouvoirs très puissants font qu'elle reste une menace. Et il faut décider quoi faire d'elle. Et comme ses pouvoirs sur la réalité sont très dangereux, certains envisagent purement et simplement de la tuer. Mais personne n'aura le temps de prendre la moindre décision : une immense lueur blanche envahit les lieux et le monde change : tous nos héros se réveillent dans l'univers de House of M, un monde où les mutants reignent en maître et où les humains sont presque relégués au rang de sous-fifres, le tout sous la bénédiction de la maison M où siègent Magnéto et ses enfants. Captain America est un paisible retraité, Peter Parker mène une tranquille vie de famille avec Gwen Stacy et ses enfants... La presque totalité des héros mène une vie idyllique et personne ne se souvient de l'ancienne réalité. Seul grain de sable dans la machine : Wolverine. Le sortilège lancé par La Sorcière Rouge n'a pas fonctionné sur lui, il se retrouve propulsé agent du Shield avec pour coéquipière Mystique et ne comprends pas grand chose à ce bordel. Alors qu'il s'enfuit, il est récupéré par un groupe de rebelle, au sein duquel la mystérieuse Layla Miller semble avoir le pouvoir de faire recouvrer la mémoire aux héros. La rébellion peut donc commencer.


House of M est une réussite à plusieurs niveaux. Pas seulement parce que le procédé de l'univers parallèle est malin et efficace et permet de décliner des tie-ins à l'infini avec un intérêt bien plus grand que la normale. Mais surtout parce que c'est un event dans lequel il n'y a pas de gras. Chaque épisode sait exactement ce qu'il veut raconter et il le fait sans remplissage, ni longueur. Ça ne perd pas de temps mais ça ne paraît pas rushé.

Mais ce qui fait aussi toute la réussite de cet event, c'est que Bendis met ici ses talents d'auteurs indé au service de l'intrigue et des personnages. Il s'attarde beaucoup sur la psychologie des héros, leur ressenti à chacun (la réaction de Peter Parker est douloureuse et admirablement bien retranscrite) et pose les bonnes questions : certains n'ont pas vraiment envie de quitter ce monde idyllique et on les comprends. Bendis gère parfaitement l'aspect dramatique et n'oublie pas de mettre Wanda Maximoff au coeur de l'histoire, ses faiblesses, ses fragilités, ses blessures, le rapport à son frère... Ce n'est pas une banale histoire de héros contre vilains, c'est celle d'une femme blessée qui tente le tout pour le tout, d'un frère prêt à tout pour sauver sa soeur. Pour une fois dans un event Marvel, il y a du fond, il y a un coeur, il y a des émotions et pas juste une vieille tactique commerciale pour vendre du papier, pas un simple prétexte pour une grosse baston. Même le twist final, qui était finalement ce pour quoi l'histoire a été mise en place, a un impact très fort. La bataille finale n'est pas une simple baston avec des supers qui se foutent sur la gueule. Et puis il faut dire que Bendis est bien aidé par le français Olivier Coipel au dessin, qui fait des miracles et porte encore un peu plus le comics vers le haut.


Relire aujourd'hui House of M c'est se replonger dans une période qui malgré ses défauts faisait quand même preuve d'une certaine prise de risque. C'est aussi comprendre ce qui manque aux récents events de Marvel et pourquoi ils sont majoritairement emmerdants. C'est aussi se souvenir que Bendis a eu du talent il fut un temps. Période bénie.

DocteurBenway
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le 9 août 2024

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