Stassen peint et dépeint l’Afrique de Matonge à Johannesburg
Rentrée fracassante chez Futuropolis. Après l’incroyable Quand vous pensiez que j’étais mort de Matthieu Blanchin et avant le récit graphique sans aucun mot de Stéphane Levallois avec Racket, voilà que le BD-reporter Jean-Philippe Stassen nous revient avec I Comb Jesus, recueil de ses reportages pour La Revue Dessinée et XXI entre 2007 et 2014. Avec toujours autant d’authenticité, de sobriété et d’éclairage.
Encore une fois, il serait bien dommage à cantiner les auteurs de BD’s à la seule tâche (déjà très noble!) du divertissement. Depuis un paquet d’années, les ouvrages dessinés, en bulles et en cartouches se succèdent au chevet de la compréhension du monde actuel. De manière parfois globale (comme l’essai de Philippe Squarzoni, Saison Brune, qui cherchait à comprendre en long et en large le réchauffement climatique) ou très locale. Mais toujours en ayant la possibilité d’aller, avec un crayon et un calepin, bien plus loin que les micros de beaucoup de journalistes dont les médias sont trop frileux que pour s’aventurer hors des sentiers battus et rebattus du mort-kilomètre (vous savez, celle loi qui dit que s’il y a 17 morts à Paris qui n’est pas si loin de chez vous, on les privilégiera à un massacre de 4000 humains au Nigeria). Un bien, un mal? Une ignorance encouragée certainement. Dès lors, des citoyens du monde et du dessin comme le Belge Jean-Philippe Stassen sont indispensables, bienvenus et bénéfiques.
Et si I Comb Jesus (comprenez littéralement « Je peigne Jésus ») n’est certainement pas le genre de livre qu’on lit avant de s’endormir, il est de ceux qui se lisent avec les pieds bien ancrés dans le sol et l’esprit ouvert à l’histoire de faits ignorés ou, du moins très vite oubliés dans notre quotidien plus ou moins confortable. Car l’Afrique n’en a pas fini avec ses démons, de la difficulté de passer Gibraltar à l’intégration des immigrés dans des quartiers comme Matonge, en passant par les enfants-soldats et les Sopecyas (« le sobriquet le plus cruel (…) réservé aux Tutsi qui sont nés et ont grandi au Rwanda. Ceux-là sont les rescapés, ceux qui n’ont pas été tués. On les appelle les Sopecya du nom d’une station-service « Société des pétroles de Cyangugu » qui fournissait en essence les militaires et miliciens quand ils perpétraient le génocide de 1994.« ).
Il n’y a pas à dire, Jean-Philippe Stassen, en discret témoin de ce qu’il voit et entend, possède un véritable don pour traduire toutes ces situations pas loin d’être inhumaine en les rendant supportables, décomplexées. En leur donnant un visage humain surtout, avec de brillants portraits d’Africains du Nord ou du Sud, de l’Est ou de l’Ouest dont le vécu se lit sur leurs visages, dont les mots font sens. Des gens qui ont choisi de vivre avec la fatalité et parfois de forcer la chance. Des gens qui, ici ou ailleurs, se révoltent (une explication simple mais aussi très efficace sur la répercussion des élections au Congo sur les choix des populations de Matonge en matière de politique belge, et notamment la popularité d’un Bart De Wever). Avec un style graphique toujours aussi reconnaissable, très animé, Jean-Philippe Stassen fait encore une fois une oeuvre de mémoire, de témoignages indispensables! Âpre et incroyablement fort!
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