2020 a été une année noire dans tous les sens du terme, et c'est aussi sous cette couleur qu'a été placée la célébration du centenaire de la naissance de Boris Vian.
En effet, nous avons eu droit, courant janvier, à la divulgation d' On n'y échappe pas, légendaire (dans le sens littéral du mot tant je doutais de son existence véritable) projet inachevé de Série Noire, terminé pour l'occasion par des tiers adeptes de l'exercice de style, mais aussi à l'adaptation successive, en bande-dessinée, des quatre romans signés Vernon Sullivan. L'initiative est louable tant le format s'y prête à merveille, et pas uniquement parce qu'il coûte moins cher que le cinéma pour recréer cette Amérique fantasmée qui n'a de cesse de fasciner.
De ces albums, J'irai cracher sur vos tombes est le plus réussi. Sans doute parce qu'il reste fidèle et pur face au matériau de base, le plus abouti, cru, et célèbre du quatuor sullivanien. En effet, ce bouquin est, à juste titre, indissociable de sa dimension scandaleuse: cette histoire de vengeance par procuration, dans laquelle le protagoniste « noir à la peau blanche » séduit et salit deux jeunes filles de la Haute Société, tout en se mêlant aux autochtones (femelles de préférence) en se vautrant dans la luxure la plus totale, a finalement beaucoup été dénaturée dans le temps en raison des scandales qu'elle a engendré à son époque, et qui poursuivirent, hélas, son auteur jusque dans un cinéma par une certaine matinée de juin 59...
Avec cette transposition, retour au texte, et exit le Joe Grant (prononcez Joey Grant) de l'adaptation cinématographique, contre laquelle, du reste, je n'ai rien, et retrouvez le fameux Lee Anderson en version dessinée, plus incarné que jamais. Le trait, d'une précision remarquable, fonctionne à merveille, et la ville de Buckton, dans laquelle je me suis rendu de nombreuses fois en imagination depuis mon adolescence, prend vie sous nos yeux, de même que ses habitants sinistres et débauchés. Il me semble aussi que la quasi-totalité des mots qui composent le roman sont présents d'une manière ou d'une autre, qui se retrouve ici pour ainsi dire vampirisé. C'est, à mon sens, la grande réussite de cette entreprise, et la raison pour laquelle j'ai été subjugué par la lecture de ces planches.
Effectivement, si comme pour moi, J'irai cracher sur vos tombes représente quelque chose de l'ordre de la première expérience sexuelle, et je sais que ce sentiment court sur plusieurs générations (cf. Le Souffle au cœur de Louis Malle), voir ces scènes érotiques, mais pas que, se matérialiser au fil de ces pages m'a donné l'impression étrange d'avoir accès à des fantasmes issus de ma jeunesse, et j'ai du me frotter les yeux à plusieurs reprises tant j'étais incrédule devant ce qui était imprimé !
Quoi qu'il en soit, rares sont les œuvres a parvenir à générer pareil effet, alors, peut-être que je me suis un peu emballé, mais sachez que cet avis vient du cœur, ou peut-être d'un peu plus bas...