Spade et Archer
Spade et Archer

livre de Joe Gores (2009)

De manière assez fascinante, il y a dans le récit du Faucon Maltais – et cela reste valable à la fois pour le roman de Dashiell Hammett et l'adaptation cinématographique qu'en a tiré Huston avec Humphrey Bogart – une écriture tellement précise et resserrée, pour ne pas dire efficace, qu'elle incite presque malgré elle à en savoir plus. Cela ne signifie pas que l'on reste sur sa faim, non, mais plutôt que l'on aimerait pouvoir être capable d'échapper un instant au cadre strict imposé par le narrateur afin d'explorer à notre guise cet univers étendu. En effet, le climax du film donne véritablement envie de voir la suite et de repartir immédiatement à Istanbul avec toute cette clique (ce qui fut un projet, si j'ai bien compris); tandis que la lecture du livre m'a toujours fait regretter de ne pas pouvoir passer plus de temps en compagnie de Miles Archer, l'associé de Sam Spade, qui, sous ses airs de joyeux drille, m'avait paru être au moins aussi moralement complexe que son partenaire. Si bien que quand je me suis replongé dans cet univers mystérieux l'été dernier, j'ai pensé tout haut qu'il y avait dans cette relation complice et hautement ambivalente de la matière pour une œuvre qui montrerait le duo en action, duo qui dans leur cas, ne s'envisage pas sans l'intervention d'une tierce personne prénommée Iva...

A partir de là, imaginez ma surprise lorsque j'appris qu'elle existait sous la forme d'un roman commandé par les ayants-droits de Hammett à Joe Gores, écrivain spécialisé dans les fictions mettant en scène des personnages de privé, de Magnum à Remington Steele. Son titre, qui reprend celui du premier chapitre du Faucon, et s'annonçait comme son préquel, laissait présager le meilleur quant à la possibilité de suivre enfin le tandem sur un pied d'égalité. En réalité, il n'en est rien, et si Gores parvient à réaliser l'exploit de faire revivre le monde de l'inventeur du roman noir, il continue de laisser mystérieusement de côté le pauvre Miles pour emmener Spade sur des affaires certes bien ficelées, mais débouchant sur un résultat mitigé artistiquement parlant .

La force du Faucon Maltais, je l'ai dit, résidait dans l'extrême concision de sa narration. Elle attrapait Sam Spade un matin installé à son bureau pour ne plus le lâcher jusqu'à la résolution finale, au sein d'une intrigue qui se déroulait en quasi temps réel. Si le détective reste au centre de ce roman, sa structure est un peu différente ici. Le protagoniste se retrouve ainsi plongé dans trois enquêtes à des époques différentes de sa vie, chacune ayant pour fonction de retracer les jalons de sa carrière et les grandes rencontres qui ont fait de lui l'homme qu'il est au début du Faucon de Malte. Ainsi, nous avons plaisir à retrouver certains personnages marquants en plus de Spade – qu'il est difficile de s'imaginer autrement que sous les traits de Bogart – comme sa secrétaire Effie Perrine, son avocat Sid Wise, ou encore le binôme de policiers qu'il croise inévitablement au cours de ses investigations. C'est là la véritable qualité de ce roman, cette capacité de l'auteur à recréer une géographie (de Chinatown au Bohemian Club), à redonner une voix familière à des personnages laissés depuis si longtemps, tout en donnant en même temps une identité aux nouveaux venus. Cependant, ces trois énigmes qui finissent par déboucher sur une seule, expression d'une quête obsessionnelle, trahit l'influence de James Ellroy, passé par là depuis, et atténue quelque peu la saveur des déambulations de Spade entre son domicile, la fameuse agence, et les alentours de San Francisco avec son brouillard caractéristique et son ambiance à la limite du fantastique.

Reste le problème d'Archer. Le livre s'intitule Spade & Archer quand il aurait du en rester à Samuel Spade. Peut-être que cela est du à l'appréhension de ressusciter un personnage que nous ne connaissons finalement qu'indirectement à travers les autres, mais il reste le grand absent de cette aventure. Aussi se contente-t-il d'apparaître au détour de quelques pages des deux premières parties, pour être ensuite constamment envoyé en déplacement dans la troisième, pourtant consacrée à son association avec Spade, et qui porte son nom ! Ce qui est étrange, c'est que Gores semble l'avoir compris dans les rares passages qu'il daigne lui accorder. Toujours est-il que le grand roman sur Spade & Archer reste à faire... Un jour, peut-être ?

Reste du présent Spade & Archer un exercice de prolongation convaincant, alors même qu'il est souvent périlleux de se mettre sur les traces d'un auteur reconnu, qui plus est s'il est aussi lourd qu'Hammett, et force est d'admettre que Joe Gores ne s'en tire pas trop mal. C'est en tout cas ce qu 'en pense Ellroy dans la préface qu'il lui consacre pour le compte des éditions Rivages, tout en expliquant en quoi Hammett est bien meilleur que Raymond Chandler. Et ça, c'est toujours bon à savoir.

GA71
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le 7 oct. 2022

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