Jackals
6.6
Jackals

Manga de Shinya Murata et Kim Byung-Jin (2009)

« SSSsslLlLarRSSHh », « fFwWwwwIiIish », « PwwoOoUuuerRrG », sont autant d’onomatopées avec lesquelles vous serez amenés à vous familiariser le temps d’une courte lecture de Jackals. Les auteurs, car il aura fallu s’y mettre à deux pour nous concocter pareille merveille, s’avèrent extrêmement soucieux de nous faire comprendre que nos héros, hein, eh bah… c’est des déglingos, comprenez-vous. Ils ont… ils ont la classe… et puis… et puis ils ont une grosse épée, pensez donc – oh qu’elles sont grosses. Comment ? Une personnalité ? Non, ça ils ont pas. Mais je vous assure que les épées sont très grosses, n’est-ce pas là motif suffisant de vous réjouir de ce que vous lisez ?


Qu’elle est bien posée notre intrigue. Deux encarts narratifs dans une première page, et voilà que le monde tout entier se résume en trois phrases. Face à un afflux d’immigrants et une influence délétère du crime organisé, les autorités corrompues, n’arrivant plus à gérer… décident de tuer tout le monde.

Alors… je veux bien que vous essayiez de me prendre par les sentiments, messieurs Shinya Murata (rien à voir avec Yusuke Murata) et Byung-Jin, mais le postulat est digne d’un Sin City amputé de cinq paires de chromosomes au moins.


« Dans une ville, où la corruption, y’en a beaucoup et du crime également, y’a des gens qui sont payés pour tuer plus que les autres… et avec une épée – très grosse l’épée – et alors… alors quoi ? Je veux dire, c’est tout ce qu’on a à offrir. »


Le postulat se borne à son énoncé. Les méchants sont partout, les héros ont des épées pour se distinguer du reste de la plèbe – vous ai-je par ailleurs précisé que leurs épées étaient très grosses ? Car elles le sont – et de ça, nous devons supposément faire un plat à même de nous caler l’appétit.

Messieurs les auteurs, vous ne pouvez pas décemment me jeter un grain de riz dans l’assiette en espérant que j’en fasse un festin. Vous deviez bien vous douter que votre œuvre manquait un peu de contenant, non ? Ah, vous pensiez faire illusion en multipliant des scènes d’éviscération à l’épée pour nous contenter avec le gore ? Seulement voilà, lorsque le sang est versé gratuitement, par définition, il ne vaut rien. Une violence crue ne suggère rien, elle se doit d’avoir un propos et une motivation fondée afin d’exercer un attrait. Multipliez les scènes de têtes et de membres virevoltant dans le décor, et vous n’aurez alors commis qu’un Slasher adolescent et immature qu’on ne pourra s’empêcher de considérer comme tel.


Les dessins font effet, je dis pas. Enfin si, je le dis. Mais on parle alors d’un effet de manche tourné vers de la prestidigitation au rabais. D’ailleurs, le trait initial me ramenait parfois à mes lectures de Fujimoto, lui aussi coutumier de l’hémoglobine, quoi que bien meilleur scénographes et dessinateur, nous en conviendrons.


Quant au contexte et à l’univers dans lequel évolueront les protagonistes – ainsi que leurs grosses épées – il n’est là qu’en tapisserie. On nous simule ici une société londonienne du XIXe siècle dans laquelle, pêle-mêle on y jette quelques éléments contemporains afin de donner le change et nous introduire supposément à un monde de fantaisie très original. C’est Arès qui recommence. Tout n’est écrit qu’en façade pour masquer l’outrecuidante absence de fond dont est fait l’œuvre présente. Dix pages, et un lecteur avisé saura s’en tenir avant de faire demi-tour.


Croyez-moi que pour le festival de connerie qui s’annonce, les organisateurs n’auront pas lésiné sur les baffles. Le protagoniste se prend une dizaine de couteau dans la poitrine, le cœur probablement transpercé ? « Nous les Jackals, on est blessé souvent, donc ça nous fait rien ».

Très bien, nous suivrons donc le périple d’un personnage invulnérable. Expliquez-moi, avec des mots simples s’il vous plaît, comment puis-je œuvrer de sorte à m’inquiéter du sort du protagoniste… si je sais précisément qu’il ne risque rien ? Pour seule réponse, nous aurons droit à des gerbes de sang dont la prévisibilité de l’occurrence est telle qu’on s’assoupit au rythme des « Argh » et autres « Shling » (Bruit de l’épée. Grosse, je précise.)


Vous remarquerez cette propension que j’ai à ne pas nommer le personnage principal, usant de détours et de périphrases pour ne pas avoir à le faire. Et pour cause, je me permets, souverainement et sans complexe, de lui nier une quelconque identité. Il n’a déjà aucune personnalité ; il n’est plus à ça près.

Nous allons donc faire un test. Voici notre protagoniste. Observez-le, imaginez-le avec une grosse épée au design plus ou moins original à la main. À présent, persuadez-vous qu’il ne s’agit pas de Kurosaki Ichigo de Bleach.

Saisissant, n’est-ce pas ? J’ai moi-même essayé de me sortir cette idée de la tête à chaque page où je lui mirais la trogne, et c’était impossible. Ajoutez à ça que, le personnage est un peu renfermé, vaguement bourru, avec un air de pas y toucher, mais de la Justice tout plein le cœur… et vous obtenez littéralement Kurosaki Ichigo. Aucune tentative de se démarquer n’aura été entreprise par les auteurs qui, peut-être, se disaient que ça ne se verrait pas. Au culot, qu’ils nous l’ont jeté sur les pages, leur protagoniste, en espérant sincèrement que personne ne leur adresserait la remarque.


De Bleach, on ne s’inspirera de rien d’autre. Pas des dessins en tout cas ; le trait de Jackals étant vite rigide et rouillé dans l’expression des mouvements, annihilant tout potentiel intérêt susceptible de jaillir d’une scène d’action. Ce qui… dans un manga où on n’y déballe précisément que de l’action, pèche un tantinet.


Et puis, le monde est injuste, mais le monde est bien fait. Figurez-vous que les mauvaises gens ont des têtes de méchant, et les gentils des têtes sympathiques. Comme ça, le lecteur est pas trop perdu, il comprend mieux. Faut dire que Jackals est déjà assez complexe comme ça, faut un peu nous prendre par la main.

Que dire de Jackals, au fond ? Que de fond, il n’en a justement pas ou plutôt, que celui-ci se confond avec la surface. Le manga ici n’étant rien d’autre qu’un film de Steven Seagal auquel on aurait fait une permanente et jeté une épée dans les mains.

Une grosse épée ; je préfère préciser par souci d’exactitude.

Tous les truismes y passent, la demoiselle en détresse, les méchants aux airs placides et aux dégaines de résidus de Boy’s Band qui se succèdent, le passé tragique – important, ça, le passé tragique ; allez, mange et étouffe-toi avec, pourceau de lecteur. T’aimes trop ça pour qu’on t’en prive, alors gave-toi bien. Prends le temps digérer, car on te le remettra dans la bouche à peine que tu l’auras excrété.


Pis à la fin, le héros il est mort. C’est encore ce qu’il a fait de mieux. On ne saura cependant pas qui lui a payé une pierre tombale et planté sa grosse épée dans le sol de manière à souligner le caractère dramatique de son trépas, mais faut dire aussi qu’on s’en fout, trop content qu’on est d’en avoir fini avec cette purge.

Tout prête à croire que Jackals, petit ange parti trop tôt, a été fauché par sa maison d’édition, faute de lecteurs. Même à eux, le goût de la déjection ici versé leur paraissait trop rance ; c’est dire. Pourtant, le manga, un peu à la manière d’un Psyren, jouissait à son époque d’une petite notoriété en France sans que jamais je ne m’y sois pourtant essayé. En aurais-je espéré quoi que ce soit, de ce manga, que ma déception aurait alors sans doute été aussi grosse que les épées qu’on nous présenta ici.

Parce qu’il faut pas croire, elles étaient foutrement grosses !

Josselin-B
1
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le 13 déc. 2024

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Josselin Bigaut

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