Au vu de son titre explicite, Je suis un chat semble être une œuvre qui va nous détailler les pérégrinations de nos amis les félidés, mais ce serait juger trop vite le contenu de ce titre.
Le manga est une adaptation du roman éponyme écrit par Natsume SÔSEKI. Ce romancier japonais, célèbre de son temps, a sa tête sur tous les billets de mille yens ! Il est aussi connu pour l’œuvre Botchan duquel Jirô TANIGUCHI s'est inspiré pour son manga. Roman contemporain de son époque, Je suis un chat date de 1905 est fait partie des plus connus de l'auteur. Le manga quant à lui date de 2010, il est dessiné sous le pseudonyme mystérieux de Tirol COBATO.
Un chaton, sans nom et livré à lui-même, est adopté par un professeur réputé. Démarrant sur un postulat mignon, l’auteure ne s’attarde pas sur les conditions de son abandon, et nous raconte, sous l’oeil du chat, son environnement et sa vision de la société humaine. Sur un ton léger et humoristique, il expérimente son cadre de vie, la nourriture et rencontre d’autres chats, comme le chat de gouttière obsédé par le nombre de souris qu’il attrape et la mignonne chatte qui fait vibrer son coeur.
Durant cette période de découverte, il commente sur un ton candide, les travers des humains et leurs habitudes particulières. Cet aperçu de la vie ne durera qu’un temps, notre chaton passera rapidement en second plan, faisant office de commentateur occasionnel, la trame se concentrera sur les relations des personnages humains qui l’entourent.
Ici ce n’est pas réellement une histoire de félidé, mais bien une parodie de la société de cette époque et du comportement illogique des humains. Nous sommes forcés de constater que cette vision ironique et espiègle peut toujours se retranscrire de nos jours. Après cette extrospection sur la nature humaine, le bilan n’est pas glorieux, au travers de ces situations on se rend compte que l’humain est tout, sauf parfait.
L’auteur met en place une intrigue et une galerie de personnages excentriques, voir embourgeoisés, pour parfaire les commentaires habilement décrits par le chaton. Il en profite pour subtilement critiquer la fin de la société Meiji, qui est en pleine mutation, dû à la culture mercantile occidentale qui s’installe doucement.
Cette transition vers l’ère Taishô est d’autant plus mal acceptée et incomprise par l’ancienne génération attachée à sa culture. L’auteur met ainsi en avant un mal profond, celui des personnes qui n’arrivent pas à s’adapter à ces changements.
Ces évolutions de moeurs apportent aussi leur lot de dérives sociales, pour exemple les hommes d’affaires sont manipulateurs et prêts à tout pour augmenter leurs profits personnels, ou encore les femmes cupides cherchant un mari idéal sur des critères sociaux. Cette critique de la nature humaine permet de prendre du recul sur nos comportements et nos travers. Les sujets restent nombreux et vous pourrez les découvrir par vous-même.
Malgré les mesquineries des personnages, aucune violence n’est présente. Une fois l’histoire terminée, nous comprenons mieux les intentions de Tirol COBATO, car lors de la lecture, la candeur des situations n’est guère passionnante.
Au final, Je suis un chat est assez déroutant, partant sur une introduction candide il se retrouve dans des situations légères et acides à la fois, pour finir sur un discours philosophique sur la condition humaine. Plusieurs styles et thèmes se croisent, certains choix scénaristiques ne sont pas expliqués et le changement de ton régulier semble montrer que l’auteur original écrivait au fil de l’eau. C’est à se demander si cela était volontaire ou non.
Il en est de même sur la place du chat qui est à la fois acteur principal et secondaire. Certains personnages comme le chat de gouttière ou la chatte ne sont pas vraiment exploités. La fin philosophique clôture un peu abruptement l’histoire, mais approfondit les idées amenées tout au long du récit, sauf le discours sur les femmes qui reste machiste malgré une ouverture d’esprit visible pour cette époque.
Au vu du résumé de l’éditeur, cette structure narrative semble être présente dans le roman d’origine. Même si le contenu reste généreux et agréable à lire, il risque de ne pas être suffisant pour s’intéresser au classique de la littérature japonaise.
Côté dessin, nous pouvons reconnaitre une patte féminine avec une forte appétence pour le Shôjo. Sans être trop marqués, la mise en case, les trames et les petits visages dans les bulles ont tout des codes de ce style. Le trait est simple, clair et efficace mais très classique. L’auteure réussit parfaitement à retranscrire cette ambiance tranquille de vie quotidienne du Japon d’autrefois. L’ensemble est agréable à lire et le style est aéré, ce qui convient parfaitement à cette adaptation. Quid sur la véritable identité de Tirol COBATO ?
Ce sont les Éditions Philippe Picquier qui ont édité ce manga dans un grand format (env. 15x22cm). Le livre comporte un carré-collé sans jaquette amovible incluant des rabats blancs. Le papier manque un peu d’épaisseur mais l’impression reste de qualité sans atteindre des noirs profonds.
La traduction se veut par moments soutenue, point agréable lors de la lecture. Le livre comporte uniquement une présentation de personnages qu’il sera conseillé de lire en fin d’histoire. Aucun dossier ou extrait n’est présent pour restituer l’oeuvre et donner envie de lire le roman original, c’est fortement dommage. Une édition dans les standards qui se contente du minimum.
Sans être une énième histoire de félidé, Je suis un chat reste une bonne surprise par son thème inattendu. C’est sur un ton léger que ce titre critique l’humain et la société dans laquelle il évolue. Ce manga aurait pu être un excellent titre mais sa structure originale changeante fait apparaître un manque d’uniformité dans sa narration.