C’est un épisode sanglant, et peu connu en Occident, de l’immédiat après-guerre en Asie. En 1948, un soulèvement populaire enflamme l’île de Jeju, située au sud de la péninsule coréenne. Attachée à un mode de gestion collective qui lui est propre, la population est vue par Séoul comme un foyer communiste qu’il est urgent d’affaiblir. Les forces du gouvernement mis en place par les Etats-Unis ont la gâchette facile. Une répression sans précédent va entraîner la mort de plusieurs dizaines de personnes dans cette île de 300 000 habitants.
En 2012, le cinéaste coréen O Muel a raconté la résistance d’un groupe de 120 villageois ayant préféré se cacher dans une grotte pendant deux mois plutôt que de s’exiler dans des zones contrôlées. Arrêtés, ils seront massacrés sans pitié. Primé au festival de Sundance en 2013, son film, Jiseul, est aujourd’hui adapté en bande dessinée par sa compatriote Keum Suk Gendry-kim.
S’il faut généralement se méfier des transpositions du 7e vers le 9e art, on ne peut que saluer la publication de ce récit en sous-sol qui décline le thème de la révolte paysanne à travers la symbolique de la pomme de terre (jiseul, dans le dialecte de Jeju). Gendry-kim a opté pour un dessin faussement maladroit, comme si l’histoire ne pouvait être aujourd’hui racontée que par un témoin qui fut enfant à l’époque. Sa variété de lavis, tâches et autres grattages fait pénétrer dans les entrailles terreuses d’une tragédie où l’humanité sort littéralement vaincue.