Avouez que vous vous êtes déjà posé la question: dans quelles circonstances le Chevalier Noir et le Clown maléfique se sont-ils rencontrés (faites-moi plaisir, dites "oui") ? Si les réponses imaginées par le cinéma ne vous ont guère satisfait, il semble bien légitime de se tourner vers le matériau originel, le comics. En fait, vous devriez toujours vous tourner vers les comics, pauvres fous, surtout quand on voit la chiasse numérique que DC/Warner est en train de répandre sur nos écrans... Mais revenons à nos moutons.
Dès le premier numéro du magazine Batman, en 1940, Bill Finger et Bob Kane imaginent cette rencontre historique. Le Joker est alors décrit comme un cambrioleur (pas si) fou, qui mêle allègrement vol de bijoux précieux et meurtres à-priori impossibles. Échappant de peu à un coup de poignard mortel par la grâce d'un responsable éditorial qui comprend la valeur de ce nouveau psychopathe, le Joker devient le premier grand ennemi récurrent de Batman.
Depuis, cette histoire n'avait été remise au goût du jour qu'une seule fois, en 1993, par l'increvable Dennis O'Neil. Ne l'ayant pas lue, je m'abstiendrai de tout commentaire (et Dieu sait que fermer sa gueule a parfois du bon). En 2005, enfin, l'excellent scénariste Ed Brubaker (Gotham Central) propose une réécriture qui rend autant hommage à la version de Bill Finger qu'au travail de Frank Miller pour Année: Un et à celui d'Alan Moore dans Killing Joke. Une version toujours officielle aujourd'hui puisque Scott Snyder y fait référence dans son récent Le deuil de la famille. C'est donc bien à du lourd que nous avons affaire, même si l'histoire est, hélas, assez courte.
Si le fan prendra plaisir à déceler toutes les références glissée par Brubaker à l'univers du Chevalier Noir, tout le monde pourra s'intéresser à la traque menée par un Batman qui s'interroge encore sur cet ennemi hors du commun. Le Joker est en effet le premier méta-humain qu'affronte Bruce, jusqu'ici plus habitué aux petits malfaiteurs et aux mafieux. "Le monde change" souligne dès le début le Capitaine Gordon, lui aussi dépassé par l'apparition simultanée de plusieurs super-héros et super-criminels à travers tout le pays.
Flic et vengeur masqué vont donc devoir adapter leurs méthodes, notamment en risquant un voyage psychédélique à travers la conscience du Joker... Le scénario, même s'il se permet quelques exagérations, reste dans une veine assez réaliste, comme d'ailleurs la plupart des comics situés dans les premières années d'activité de Batman. Celui-ci fait plus figure de détective que de ninja aux multiples gadgets, et j'avoue avoir un faible pour cette facette-là du personnage. L'enquête est agréable, les dialogues bien écrits et les dessins de Doug Mahnke sont immersifs et dynamiques, même si les visages ne sont pas toujours au top. Mention spéciale aussi à la colorisation, tour à tour sombre et colorée.
Ce comics ne se veut cependant pas révolutionnaire. Il se présente clairement comme une nouvelle brique posée à posteriori dans la continuité de Batman. Tous les éléments étant déjà connus, Brubaker ne fait que les réassembler, mais avec pas mal d'élégance et de sobriété. Un travail comme on aimerait en voir plus souvent...