J'accusais mon père de lâcheté, mais si j'avais eu moi-même une once de courage, j'aurais pris quelques jours pendant ces quinze dernières années pour aller les voir, elle et notre mère... Pour les serrer dans mes bras, pour m'excuser du mal que je leur avais fait, pour leur demander pardon, ce pardon que j'étais incapable de m'accorder. J'étais qu'un trollar incapable d'aimer qui que ce soit, un digne fils de la légion. Tout ce qui était bon me filait entre les doigts comme du sable.
Les éditions Soleil avec cette sixième aventure de la franchise " Nains ", gravitant en parallèle d'autres sagas telles que Elfes, Mages, et Orcs & Gobelins autour de l'univers des Terres d'Arran, peuvent questionner le lecteur sur la pertinence de ce nouvel album qui vient se greffer à cinq tomes fusionnels ayant pour objectifs de présenter les cinq factions composant le symbole du pouvoir de la société naine : avec l'ordre du Talion, du Temple, du Bouclier, des Errants, et enfin de la Forge. Un projet mener à bien dans lequel nous voici reparti pour une tournée supplémentaire, qui malgré un air de déjà vu réussit à maintenir l'intérêt du lecteur en explorant davantage son concept grâce au scénario de Nicolas Jarry. Une histoire dans laquelle on découvre la légion de Fer, une compagnie de mercenaires réunissant les exclus des ordres Nains dans une légion particulièrement abrupte à laquelle le nain s'abandonne totalement pour former une famille de guerriers brutaux sans passé. Un récit tragique, noir et rugueux à l'image de ce peuple robuste dans lequel on retrouve l'ordre de la Forge, en tant que suite directe du premier volume de la saga Nains.
Par la barbe de nains ! Voilà qu'on retrouve le nain le plus badass des Terres d'Arran avec Redwin de la forge le seigneur des runes, par le biais de son deuxième fils : « Jorun ». Je ne bouderais nullement mon plaisir de retrouver la version vieillissante de la figure emblématique m'ayant initiée et adhérée à cette franchise d'héroïc fantasy hors normes. Au côté de sa femme Énime, que l'on retrouve également avec joie, on explore la vie de retraitée de forgeron des armes d'un Redwin en paix qui élève ses deux fils Ulrog et Jorun, avec la ferme intention de ne pas reproduire les erreurs du passé. Seulement, l'héritage d'un tel sang est lourd de conséquences et Redwin va rapidement en faire les frais avec Jorun, qui en matière de rancœur et de haine paternelle n'a rien à lui jalouser, si ce n'est son art de la forge unique et son talent d'escrime sans aucune mesure qui lui a valu le statut de légende. Pas facile de vivre dans l'ombre d'un père iconique et d'un grand frère bien plus doué, qui fera rapidement naître une fracture irréconciliable au point de créer la division de la famille. Un fils qui s'enfonce dans la haine et le ressentiment à mesure que la différence avec son père se fait plus grande, là où le père trouve en lui celui qui fatalement lui ressemble le plus de par cette ardeur et cette rage qui alimenta sa rancoeur envers son père. Jorun, fils de Redwin, petit-fils d'Ulrog est un nain marqué autant dans sa chair que dans son âme que l'on prend beaucoup de plaisir à découvrir, mais qui restera finalement jusqu'au bout dans l'ombre d'un père qui durant la conclusion de l'album volera littéralement la vedette à son fils auprès du lecteur, en devenant un véritable Dieu guerrier. L'héritage oppressant d'un géant bien trop grand pour un seul nain.
Pour reprendre la suite du premier tome : « Redwin de la Forge », avec le sixième tome : « Jorun de la Forge », quoi de plus normal que de rappeler aux dessins Pierre-Denis Goux, qui apporte une illustration toujours aussi riche, sombre, solide et crédible avec cette fois-ci une régularité autour des traits des visages. Des dessins au service d'une ambiance pesante lourde de sens sur une palette de couleurs bien élaborée, notamment autour des ombres entourant les yeux des personnages. Il n'y a pas à dire, en matière d'impact Goux à le savoir-faire pour mettre en forme des puissantes actions ultras nerveuses par des coups lourds et ravageurs qui sont savamment introduits dans des vignettes qui offrent des sensations de mouvements d'une rare bestialité. C'est pourquoi on regrettera un récit faisant avant tout la part belle à son histoire, délaissant l'action à quelque chose de secondaire, ce qui est rudement dommage (malgré la qualité du récit) lorsqu'on fait appel au meilleur dessinateur d'action de l'équipe technique centré autour de l'univers des Terres d'Arran. En matière de décors bien que cet album soit moins généreux, c'est toujours un vrai régal pour les yeux avec la cité de la légion de Fer avec son arène d'entraînement en bordure de mer, les campagnes de Boronn, la forteresse de Drem, ou encore le trône des Mages noirs de Morgar'dra, où se pose le contraste de fin avec un plan final sur Redwin tout bonnement époustouflant et épique.
CONCLUSION :
Nains, tome 6 : Jorun de la Forge, par les éditions Soleil, signe le retour du duo solide " Nicolas Jarry-Pierre-Denis Goux ", à qui l'on devait déjà le premier volume de la saga Nains : Redwin de la Forge, auquel cette bande dessinée fait directement suite. Une nouvelle collaboration redoutable pour un résultat édifiant dont on regrettera seulement une action trop secondaire malgré le talent incroyable de Goux à dépeindre des actions épiques. Reste un récit dramatiquement saisissant dont on se délecte une fois encore de son riche univers ainsi que de ses personnages traumatiques.
Jorun de la Forge, un nain dont on apprécie les traits, l'ardeur, et la résolution mais qui ne reste qu'une pâle copie torturée du seul et unique Redwin de la Forge.
Je ne savais pas si un jour je pourrais donner mon pardon à mon père... Pourtant je lui devais la vie, tout comme beaucoup d'entre nous... Nous pensions que notre résistance acharnée avait eu raison de la détermination des Mages. Mets une lune plus tard, nous avions découvert qu'un adversaire mystérieux avait ravagé leur citadelle. Les rumeurs les plus folles se sont mises à circuler. Certaines prétendaient qu'une armée d'elfes avait pris d'assaut Morgar'dra, l'antre des Mages, d'autres que la citadelle avait été détruite par des dragons... D'autres rumeurs encore plus improbables évoquaient un guerrier solitaire, hurlant sa rage, un nain brandissant un tranchoir de feu, semant la désolation autour de lui. En tuant sa femme, ils avaient tué la seule chose qui les protégeait de sa folie. Depuis toujours, chaque fois que le peuple nain avait été menacé, un héros s'était levée dans l'adversité et la souffrance pour accomplir l'impossible... Telle avait été la destinée de Redwin de la Forge, fils d'Ulrog, mon père.