Fabrice Neaud est reconnu comme l’un des pionniers de l’autobiographie en bande-dessinée. Au début des années 90, il démarre un « Journal », relatant sa vie. Au même moment, des autobiographies paraissent à l’Association. Depuis, le genre s’est développé est devenu à la mode. Mais il y a 20 ans, il était embryonnaire. Etant un amateur des autobiographies, il était plus que temps que je découvre l’œuvre de Neaud, souvent citée comme une référence. Je me suis donc procuré « Journal (1) », paru aux éditions Ego comme X, une maison d’édition dont la création sera d’ailleurs relatée au fur et à mesure des tomes du « Journal ».
Globalement, ce « Journal (1) » aborde deux thématiques : le travail en tant que graphiste/illustrateur/auteur de BD de Neaud et son homosexualité. Autant dire que ce n’est pas joyeux. D’un côté on a un jeune diplômé qui peine à trouver du travail, de l’autre un jeune homme qui vit un amour non-réciproque. Et si beaucoup d’auteurs traitent leur autobiographie avec beaucoup de recul, de tabou ou mettent de la distance par l’humour, Neaud écrit un vrai journal intime. Pas de distance, pas d’interdit. On se prend tout en plein visage. C’est ce qui fait la force de l’ouvrage, indubitablement.
Mais c’est également sa faiblesse. Ce « Journal » semble être avant tout une catharsis pour l’auteur. Si bien que parfois, on ne se sent pas vraiment impliqué dans la lecture. Certes, l’aspect dramatique de l’ensemble amène le lecteur à l’empathie, mais la vampirisation du propos par le beau Stéphane, source de toutes les obsessions de l’auteur, a tendance à transformer l’ensemble en drame sentimental. Après tout, c’est aussi ça la vie, non ?
« Journal » est avant tout narratif. Fabrice Neaud raconte son histoire et l’écrit bien. Les textes sont très réussis, jamais trop lourds, toujours justes. En comparaison, les dialogues semblent si vains. L’impossibilité de dire ce que l’on ressent devient alors une évidence tant les paroles sont dérisoires et blessantes. L’absence de dialogues dans de nombreuses pages est d’ailleurs remarquablement géré par l’auteur qui sait faire vivre sa bande-dessinée juste avec des paysages.
« Journal » vaut aussi aujourd’hui pour son aspect documentaire. Même si ce n’est pas (encore ?) le sujet principal de l’ouvrage, on voit les débuts d’un auteur de bande-dessinée qui a apporté par la suite beaucoup au genre. C’est même un témoignage sur l’état de la bande-dessinée au début des années 90. A ce moment-là, Neaud dessine de la science-fiction parce-que c’est ce qui se vend. Ses amis le poussent alors à faire des carnets plus intimistes… Il accouchera alors du « Journal ».
Un mot quand même sur le dessin de Fabrice Neaud. Le noir et blanc de l’ensemble est très beau et bien équilibré. On sent une parfaite maîtrise de l’ensemble. Son style est réaliste et précis : chaque personnage est très bien identifié, jusqu’au regard, très expressif. C’est assez remarquable, car quand Neaud dit dans sa narration certains effets que lui fait une personne, on retrouve dans le dessin ce qu’il dit. De même, de nombreuses trouvailles graphiques prouvent sans peine que Fabrice Neaud est un grand dessinateur dotée d’une vraie créativité.