C'est un peu la même démarche que le livre d'Howard Zinn : parler de ce et ceux dont on ne parle jamais aux Etats-Unis. Le texte est de Chris Hedges et les illustrations de Joe Sacco. Le livre comporte 5 parties.
- "Le temps des spoliations" est une enquête menée à Pine Ridge, dans le Dakota du Sud, en marge d'une réserve indienne. Absence de services, drogue, vols à main armée, violences conjuguales sont le quotidien de ces Native Americans. Retour aussi sur certains épisodes des guerres indiennes. Récit d'un chef de gangs dealer repenti.
- "Jours de siège" se passe à Camden, dans le New Jersey. Autrefois grand port et grand centre industriel, la ville a perdu l'essentiel de ses emplois. L'aide gouvernementale est siphonnée par le gouverneur, un filou démocrate. La bibliothèque municipale et bien des services ferment. Chômage. Cambriolages et saccages des appartements, désaffectés ou non, afin de récupérer des fils en métal. Camps de travailleurs temporaires dans des tentes.
- "Le temps de la destruction" décrit la destruction du paysage des Appalaches à Welch, en Virginie Occidentale. Les mines à ciel ouvert, bien plus rentables que les mines à galerie, obligent à raser des montagnes entières. Les derniers petits propriétaires se sentent assiégés et sont haïs des journaliers jaloux de leurs emplois. Les rivières sont contaminées par les rejets toxiques de métaux lourds. Des digues proches de patelins sinistrés et des nuages de poussière noire ôtent toute valeur aux maisons de ces anciennes familles de mineur, qui se réfugient dans la drogue, avec l'aide de l'Etat, généreux en remboursement pour les antidépresseurs. Les services sociaux disparaissent.
- "Le temps de l'esclavage" s'intéresse à la condition des ouvriers agricoles à Immokalee en Floride. Sans papiers venus de toute l'Amérique latine, ils ramassent sous la direction de contremaîtres des légumes bourrés de pesticides. Pourtant beaucoup rêvaient de l'Amérique. Prolétarisation, prostitution... Hedges s'attarde sur la fondation du Syndicat des travailleurs d'Immokalee, qui en organisant un boycott a réussi à obtenir une augmentation de salaires. Ce qui mène à la conclusion...
- "Jours de révolte" revient sur le mouvenent "Occupy Wall Street" connu pour son campement à Zuccotti Park. On y trouve quelques portraits de militants, qui décrivent l'organisation des AG.
Je n'aime pas le style de Hedges, qui est émotionnel et mise beaucoup sur le storytelling. Cela me déçoit venant de Joe Sacco, qui menait une vraie réflexion sur la valeur du témoignage dans son "Gaza, 1956". Parfois, en lisant les récits tire-larme du énième gars victime de la société, je me demandais si Hedges était allé plus loin que l'émotion qu'il recherchait, s'il avait fait le travail de recoupement qui est le propre de tout bon journaliste.
Et ça me gêne d'autant plus que l'approche de Hedges est plus émotionnelle que fine, plus binaire que nuancée. Il y a moyen de faire de la littérature militante sans essayer d'arracher des larmes au lecteur en le bombardant de détails sordides, ou en balançant une bordée de chiffres accablants, mais pas toujours bien liés entre eux.
Trop occupé à dénoncer, Hedges peine à expliquer. C'est pourquoi il ne me convainc pas entièrement.
Les BD de Joe Sacco, elle, sont toujours bien faites. Mais je préférais d'autres enquêtes qu'il a faites.
Au fond, c'est un peu comme l'ouvrage de Zinn, qui par son aspect décousu me faisait me dire qu'on a là davantage un contrepoint à l'opinion dominante qu'une opinion personnelle bien étayée.