La critique se base sur la série et non pas le tome 1 seul.


Il y a deux manières de juger un produit comme Kagurabachi, et je dis bien produit et non pas œuvre. On peut le juger pour ce qu’il est en ignorant tout éléments qui ne serait pas intrinsèque, ou bien le considérer en prenant en compte le contexte dans lequel il s’inscrit. Mais à moins d’être un ermite ou un être candide et ignorant de tout, je ne vois pas comment éviter de tomber dans le deuxième cas.


Je vois deux possibilités qui ont pu pousser un jeune artiste débutant à pondre ce pot pourri qu’est Kagurabachi, et je ne sais qu’elle est la plus navrante : que quelqu’un fasse preuve d’un cynisme absolu pour produire une synthèse de tous les clichés et poncifs les plus racoleurs des derniers mangas à succès, ou que cette nouvelle génération d’artiste soit sans arrière pensés car elle a été entièrement conditionné et vidé de la moindre particule d’originalité. La première est honteuse mais impressionnante, la seconde est quant à elle tout simplement effrayante.


Il est normal pour un artiste débutant de devoirs faire des concessions et de devoir mettre de l’eau dans son vin pour commencer à être édité. Les plus grands sont pour la plupart passé par là, mais comme Urasawa à qui on doit Monster l’a dit dans une interview, il faut courber mais ne pas céder pour pouvoir rester un artiste intègre.


J’ai commencé à lire Kagurabachi avec beaucoup d’appréhension mais je n’attendais qu’à être surpris. On apprécie toujours plus facilement une œuvre pour laquelle on n’en attendait rien qui s’avère meilleure que ce que l’on pensait qu’une œuvre pour laquelle on avait des attentes énormes qui s’avèrera pas aussi flamboyante que dans notre imagination. Dès le début on sent que les tares du shonen nekketsu de la « nouvelle génération » sont très présentes, mais le cœur de l’intrigue a comme même un léger potentiel. L’histoire du fils d’un forgeron cherchant vengeance et devant retrouver les sabres magiques forgés par son père est un postulat simple mais efficace, mieux vaut des enjeux clairs et bien définis qu’une intrigue trop alambiquée et tortueuse. Au final même des mangas nébuleux comme Blame! ont un postulat très simple, ce qui compte le plus est l’exécution. De la même manière j’ai été indulgent avec une première confrontation cliché introduite assez brutalement. Les mangas du Jump sont confrontés à un impitoyable système de vote hebdomadaire des lecteurs, prendre du temps du temps pour faire de l’exposition est souvent mal compris par un lectorat plus intéressé par la satisfaction immédiate, ce qui pousse les histoires à souvent démarrer tout de suite dans l’action et de repousser l’exposition à plus tard.


On arrive ensuite au point fort de Kagurabachi et peut être le seul compliment que je lui adresserai : la scénographie que l’on nomme aussi a mise en scène. Cela s’inscrit certes dans la mode actuelle, qui semble se rappelé que les mise en scène originales ont existées avant les années 2000 (les expérimentations ont commencé dans les années 70 avant d’être révolutionnées par Otomo dans les années 80, puis en partie abandonnés durant les années 2000), mais celle ici présente est bien exécuté. On ne retrouve pas l’originalité ou l’expérimentation d’un Fujimoto, mais il y a un grand travail dans le cadrage et dans le découpage cinématographique des combats. Il y a un vrai sens du cadrage et de la perspective. On sent comme même qu’elle n’est faite que pour iconiser et qu’en dehors des scènes de combat servant à exciter et générer de la hype chez le public, il y a du relâchement dans les autres pages. On peut comme même donner le bénéfice du doute à l’artiste sur ce point et se dire que cela est dû au rythme de publication hebdomadaire qui pousse à faire des choix et à doser l’effort. Je ne lui donnerai par cette indulgence pour les points suivants.


On arrive enfin au gros point noir, l’originalité. Bien entendu l’originalité pour la finalité de l’originalité n’est pas un gage de qualité, l’art contemporain a tendance à être en être un triste exemple. Il n’est pas honteux d’avoir des inspirations ou de se baser sur les acquis mis en place par ses prédécesseurs. Cependant avoir une âme et un minimum d’intégrité artistique est primordial. Or Kagurabachi semble piocher allégrement et sans scrupules dans tous les grands succès éditoriaux du shonen de dernières années. Qu’un manga s’inscrive dans les tendances du moment, que l’on appelle parfois une génération est normal, mais Kagurabachi fait bien parti des suiveurs et non pas des pionniers. Cette nouvelle génération du shonen qui a commencé durant la deuxième moitié des années 2010 avait un semblant de rupture. Elle pourrait se caractériser par un retour en grâce de la mise en scène, d’un dessin moins aseptisé et de thèmes plus sombre. Cependant on est loin de la révolution du manga qui avait pu avoir lieu dans les années 70 avec des shonen très mature comme Dororo ou subversif comme Devilman. Non, ici la violence et la mise en scène sont malheureusement des cache misère, car en grattant le vernis de la surface on verra le même contenu vieillissant. Je serais tenté d’appeler cette génération l'ère du clinquant, une ère qui n’a d’éclatant que la très fine couche de vernis qui la recouvre. De cette génération je concéderai comme même à JJK d’avoir initié un léger changement, et à Chainsaw-man d’avoir tenté d’apporter un semblant de vision d’auteur (Fujimoto s’épanoui bien plus dans ses one shot que dans ses shonen soumis à des cahiers des charges et à la publication hebdomadaire). Kagurabachi semble confirmer l’adage, chasser le naturel et il revient au galop, le début de cette génération était comme même une légère impulsion, mais Kagurabachi comme ses jeunes confrères reviennent à une forme d’immobilisme au lieu de la transformer en un nouvel élan. S'inspirer d'autres artistes est normal, mais il faut faire un effort pour "digérer" les influences et ne pas les recracher directement. Tout dans Kagurabachi donne une impression de déjà-vu et de tomber dans le cliché. La seule originalité, ou plutôt d’idée pas trop frelatée, est de proposer un monde moderne mais où les armes à feu n’existent pas. Les protagonistes se battent donc en utilisant les armes blanches, les arts martiaux, et la magie. Ce genre de concept a été déjà utilisé dans des mangas comme Gunnm (Alite Batlle Angel) ou encore des séries occidentales comme Into the Badlands, mais il n’est pas encore trop surutilisé. Un concept simple et classique n’est jamais rédhibitoire en soi. Mais ensuite arrive le casting et là les choses se gâte. Déjà le chara design semble parfois donner l’impression que ‘on voit de nouveaux protagonistes de JJK. Un professeur blond entre deux âge façon Nanami (ou même Kishime de CSM) est peut-être le plus flagrant. On enchaîne les lieux communs à vitesse grand V, l’organisation de justiciers masqués avec leur apparence « over the top », une jeune fille ayant subis des expériences dans un laboratoire, un jeune pleurnichard qui collera au héros et s’avérera au final très puissant (quelqu’un a vraiment voulu s’inspirer de Zenitsu). En évoquant Demon Slayer, on retrouve des techniques de combat au sabre avec les mêmes effets visuels, on aura juste utilisé le motif moins commun des poissons rouges. Je suis simplement étonné qu’en plus de yakuza sorciers il n’y a pas eu de yokai qui sont eux aussi dans l’air du temps : sûrement que l’auteur y a songé mais que cela aurait poussé le plagiat ostentatoire trop loin. Certains lecteurs auront pu être surpris que le protagoniste Chihiro s’avère moins impitoyable que prévu et non pas un ersatz de dark-sasuke. On troque au final un cliché pour un autre, un protagoniste froid et ronchon cachant un cœur d’or qui malgré son mauvais caractère réunira toute une troupe de compagnons autour de lui, cela a déjà été trop fait et même dans le cas de Berserk cela aura pris du temps. Cela semble confirmer que l’auteur ne veut pas prendre de parti pris qui serait radical et décide faire les choix les plus conventionnels et grand public possible. Pourtant un protagoniste rongé par la vengeance au point de le rendre moralement trouble est autrement plus mature et à donner lieu à des œuvres très profondes (par exemple la trilogie de la vengeance de Park Chan-wook qui comprends Old Boy). Il ne s’agit certes que du début de l’histoire, mais quand on voit une telle absence d’intégrité artistique chez l’auteur je vois difficilement comment la situation pourrait réellement s’améliorer. Dans le manga on voit en général une histoire gagner en maturité et complexité, mais pas son essence même. Même dans le cas d’un changement drastique le naturel revient toujours au galop.


Enfin il faut peut-être aborder le dernier point qui est le contexte médiatique de ce manga, sans lequel il serait resté un des nombreux clones anonymes qui peuplent le Jump. Un fausse hype en réalité sarcastique qui devient malencontreusement un réel phénomène. Il était certes malhonnête de juger un manga par sa seule couverture, mais il est bien plus navrant que l’époque actuelle rende ce genre de préjugé s’avérer juste. Pourtant il aura fallu qu’une fois la publication commencée et la justesse de la prédiction avérée, que cette hype s’amplifie au fil des tomes au Japon. Il y a quelque chose de presque orwellien dans ce phénomène. Pour rappel, dans le roman 1984, la dictature en place crée une nouvelle langue officielle nommée la novlangue (newspeak en VO). La novlangue a pour objectif se soumettre la population par plusieurs moyens : avoir un vocabulaire appauvri et infantilisant pour abêtir la population en limitant sa capacité de réflexion, et structurer la pensée selon l’idéologie par la signification des mots. Pour expliquer le deuxième point qui est celui qui nous intéresse, un mot visant à insulter un opposant aura également une signification de compliment si adressé à un représentant de l’autorité. On y retrouve au final là la situation de Kagurabachi, un produit ciselé selon le cahier des charges de l’institution éditorial de la Shueisha au point que la simple couverture caricaturale aura été source de moquerie. Cependant cette moquerie aura finalement été une source de médiatisation extrême, et un lectorat conditionné à se sustenter de standardisation et hype y aura finalement trouvé son compte. Je n’ose imaginer la surprise et la satisfaction de la Shueisha, à quoi bon tenter de médiatiser eux même une œuvre pour la rendre artificiellement populaire comme pour Torico, stratégie hasardeuse et risquée, ou bien de payer à grands frais des séries à l’animation renversantes pour faire la réclame, méthode bien plus efficace mais onéreuse, quant au final il suffit de laisser faire les réseaux sociaux. C’est d’autant plus déplorable que la promotion par le bouche à l’oreille est censé être l’apanage des œuvres originales de niche ou indépendante qui trouvent difficilement un grand public. Comme quoi le capitalisme arrive toujours à récupérer à son avantage tout ce qui cherche à s’opposer à lui.


Kagurabachi est-il infâme ? Non certes pas. Il est de toute manière loin d’être le seul ou d’être le pire de ce qu’il se fait actuellement. C’est un produit d’un système malade qui fournis du divertissement bon marché et sans âme. Retirez lui son « aura » et jugez le pour ce qu’il est, il n’apporte rien si ce n’est un travail de synthèse un peu moins grossier que la moyenne. Il faut croire que l’absence d’originalité et une qualité tout juste au-dessus de la moyenne est la meilleure source de succès ces temps-ci. Cette critique sur ce produit peut être appliqué très facilement à plein d’autres manga et webtoon récents. Cependant Kagurabachi amorce un nouveau type de hype malsaine qui n’est cette fois pas dû à une promotion de l’éditeur ou d’une adaptation animée, il est donc parfois nécessaire de remettre les pendules à l’heure et d’essayer de couper le mal à la racine. En l’absence d’adaptation animée pour en faire la publicité et biaiser le jugement, on peut en effet espérer un éclair de lucidité du lectorat français qui est en parfois capable : comme par exemple Demon Slayer qui a été un bide en France au point que la publication s’y est arrêtée avant d’être sauvée uniquement grâce à l’anime, et l’Atelier des Sorciers (qui est un shonen malgré sa publication dans un magazine seinen) connait un très grand succès commercial et pas uniquement critique bien que n’ayant pas d’anime et sortant un peu des « tropes » actuels. Kagurabachi en tant que produit de divertissement mérite surement d’exister, mais le glorifier et lui donner un succès commercial disproportionné serait alimenté le cercle vicieux qui nivelle par le bas aussi bien la qualité de production de manga que le niveau d’exigence des lecteurs. Le pire n’est peut-être pas le manque de qualité, mais l’absence totale d’âme.


Je n’accorde que deux points, le minium étant 1 qui synonyme des pires abominations est excessif. Un 2 s'avère peut être un peu plus approprié pour au moins récompenser l'effort fournis pour la mise en scène.

Elzear
2
Écrit par

Créée

le 5 mars 2025

Critique lue 58 fois

1 j'aime

Elzear

Écrit par

Critique lue 58 fois

1

D'autres avis sur Kagurabachi, tome 1

Kagurabachi, tome 1
Elzear
2

Le produit de son époque

La critique se base sur la série et non pas le tome 1 seul. Il y a deux manières de juger un produit comme Kagurabachi, et je dis bien produit et non pas œuvre. On peut le juger pour ce qu’il est en...

le 5 mars 2025

1 j'aime

Du même critique

Kagurabachi
Elzear
2

Le produit de son époque

Il y a deux manières de juger un produit comme Kagurabachi, et je dis bien produit et non pas œuvre. On peut le juger pour ce qu’il est en ignorant tout éléments qui ne serait pas intrinsèque, ou...

le 22 mars 2025

2 j'aime

Kagurabachi, tome 1
Elzear
2

Le produit de son époque

La critique se base sur la série et non pas le tome 1 seul. Il y a deux manières de juger un produit comme Kagurabachi, et je dis bien produit et non pas œuvre. On peut le juger pour ce qu’il est en...

le 5 mars 2025

1 j'aime

Les Carnets de l'apothicaire
Elzear
4

Insipide Poison

Les Carnets de l’Apothicaire avaient tout pour me séduire sur le papier. Une fresque historique exotique, des intrigues de cour, une héroïne atypique qui devra utiliser ses connaissances en médecine...

le 5 mars 2025

1 j'aime

3