Le diable parfois porte Pierre. Il le porte par la tignasse de ses cheveux pour le traîner vers un destin mieux auguré mais perturbant au premier abord. La vérité, c’est qu’on m’avait recommandé la lecture du manga Les Enfants de la Mer. Kaijuu no Kodomo en version originale. Alors, suite à une faute de frappe son doute, je suis tombé sur Kami no Kodomo. Errance il y eut, mais le détour ne se sera pas accompli en vain. L’œuvre ne m’aura tenu la jambe qu’un volume de temps, mais un temps judicieusement consacré.


Fulgurant dans mes premiers opinions, d’un regard à peine ; d’un coup d’œil seulement, je condamne avant de juger ou même d’instruire l’affaire. Débuter la sonatine sur un couplet de lamentation, décidément, n’est pas à mon goût. Qu’un truisme tel que « Je ne sais pas pourquoi je suis né » nous tombe dessus à peine eut-on laissé glisser le museau dans l’œuvre, décidément, pourrait indisposer.


Le dessin est là pourtant. On lui trouverait presque des allures de Shintaro Kago croisé Taiyô Matsumoto ; quelque chose de lyrique et sale, tout en retenu dans l’innommable ; comme un dessin d’enfant survenu du bout d’un pinceau macabre. Le « Tim Burton » du manga pourrait-on céder par facilité ; mais avec des artifices plus nombreux et soignés encore. Du contemplatif introspectif dans l’horreur ; le mélange des genre séduit pour ce qu’il a de nouveau et d’incongru. Ça ne m’aura pas dérouté mais assurément intrigué à l’issue d’un chapitre seulement. Un enfant sorti d’un cul, tout en prose et tendrement, avec pour vocation d’incarner le Dieu de la Vengeance, décidément, ne pouvait qu’interpeller. Kami no Kodomo ? Vous n’avez jamais lu ça ailleurs, tenez-le-vous pour dit.

Et sans doute est-ce pour le mieux.


Les graphismes, alliés à la narration glacée qui nous étreint, sont la force motrice du manga. Les traits grotesque au point d’en être terribles, difformes et parfois sommaires, mais si bien maîtrisés qu’on devine l’effort qu’a dû réclamer leur élaboration, subjuguent et ensorcellent. Il y a quelque chose de lugubre qui, sans qu’il soit besoin d’appuyer l’encre noire, s’évade du papier pour nous traverser l’esprit. Pas un sens de la noirceur qui soit forcé ou bêtement stylisé, mais quelque chose de bien réel. L’auteur ici ne mime pas le mal ; il en a vraisemblablement été imprégné pour nous le communiquer dans un récit si troublé. Troublé d’un onirisme sombre où les rêves d’enfants nous apparaissent comme un cauchemar éveillé.


Le surnaturel, confondant et nébuleux, est insaisissable, comme presque aléatoire tout en étant cependant le fruit d’une laborieuse cohérence dans la folie qui s’orchestre ici. Peut-être trop aléatoire. Assez en tout pour que l’on devine que la composition, à sans cesse s’abandonner au lyrisme le plus poussif – néanmoins pourvu d’une imagination indéniable – afin que l’on détermine que ces la narration parle finalement pour ne rien dire. Que le moindre mot qu’on lit est tourné vers la prétention plutôt qu’un propos véritable.


Le personnage principal évolue pour devenir un tueur terrifiant. Personnage au sein duquel une introspection houleuse dans sa cervelle manifestement perturbée ne manquera pas de nous fasciner ; ne serait-ce qu’à-demi. Tout le fantastique qui ressort du récit, jailli par le dessin, tout cela n’est qu’une illusion trompant ses sens, on le sait. On espère le savoir en tout cas.


Mais tout, finalement, se présente ici pour moche et répugnant pour la bête finalité de l’être, de censément perturber sans finesse. Enfant, le personnage principal assiste à un viol avec strangulation puis, à son tour, s’essaiera à une expérience sexuelle avec le cadavre. Pour moi qui aime faire payer chèrement à autrui leurs errances, je sais quand quelque chose est gratuit. Et ce contenu-ci l’est ; de bien trop pour que je puisse faire semblant de ne pas le voir.


Le Récit de Kami no Kodomo est une fresque bellement peinte d’une adolescence perturbée jetée sur les planches pour y être rendue plus tapageuse. Ce qui est excessif est insignifiant disait ce bon monsieur de Talleyrand ; je me serai souvenu de lui et de ses bons mots à chaque chapitre qui venait. Même feutré, ça devient rapidement de trop pour qu’on trouve le récit crédible.


La scénographie y est pour beaucoup dans la tromperie. Précisément parce Nishioka Kyodai a un style de dessin imaginatif et qu’il s’en remet à un processus de narration original, on jurerait que l’œuvre est à part. Mais, une fois balayées ces afféteries strictement formelles, à creuser dans la carcasse de l’œuvre, on découvre qu’elle n’avait même pas d’os pour la soutenir. En ressort alors un contenu inconsistant.


Chaque case devient une injonction grossière à nous exhorter d’être dérangés de ce qu’on lit. Très franchement, tout y est si outrecuidant que c’en devient drôle malgré lui. Dans la liste des éléments dérangeants s’enchaînent ainsi un enfant né dans des toilettes, de la nécrophilie, du meurtre et suicide d’enfants, de la pédophilie conduite par le protagoniste et autres joyeusetés qui… pour scandaleuses qu’elles sont… ne trouvent même pas le moyen d’être révoltantes tant elles sont déballées bêtement. On jurerait alors contempler les peintures de ces artistes ratés désireux de faire leur notoriété sur une substance choquante. Excepté que de substance, il n’y en a point. On se pâme sur l’aspect subversif pour occulter le fait que le vide conceptuel, par définition, n’a strictement aucun aspect.


Ça m’apprendra à m’égarer pour ne pas avoir su lire une pancarte. Je croyais avoir trouvé un sauf-conduit, pour en définitive me perdre dans les égouts. Demain, Kaijuu no Kodomo, pas de faute de frappe cette fois. Mais faute de goût il y aura cependant ; et pas de mon fait.

Josselin-B
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le 28 sept. 2024

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Josselin Bigaut

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