Une petite moue me tord les lèvres à la relecture de Kenshin. Plus de dix ans que je n'avais pas mis mon nez dans un de ces volumes. En ce temps là, j'étais encore assez jeune pour que l'auteur, Nobuhiro Watsuki, s'intéresse à moi. Mais, puisqu'il faut - paraît-il - séparer l'homme de l'artiste, nous éluderons l'appétence de l'auteur pour la chair fraîche et analyserons son œuvre phare d'un regard neutre. Neutre, mais impitoyable. Car si une moue me tordait les lèvres, c'est parce que Rurôni Kenshin a vraiment mal vieilli. Eut-il été publié dix ans plus tôt que son succès aurait été, à mon humble avis, plus retentissant qu'il ne l'est à ce jour. Seulement, quand on succède à la fin de la décennie Dragon Ball et qu'on a côtoyé de près Slam Dunk ainsi que Yuyu Hakushô parmi les titres du Jump de l'époque, sans un coup de crayon exceptionnel ou des idées fraîches et réellement novatrices pour se démarquer des concurrents, une bête histoire de samouraï fait très pâle figure en comparaison.
Kenshin, victime de son époque ? En partie, mais pas seulement. Lui incombent nombre de tares qui, à l'époque, n'étaient pas aussi rédhibitoires qu'elles peuvent l'être à ce jour. Les poncifs du Nekketsu ont considérablement terni son essence. Watsuki aura toutefois donné le change en garnissant le tout d'un soubassement scénaristique prometteur mais très mal abordé.


Une bête histoire de samouraï écrivais-je par provocation. Très bien pensée dans son concept initial en réalité. Au point de me surprendre en tout cas. L'auteur prend le risque de chercher à réellement situer son scénario dans le cadre historique et politique de l'époque, mêlant vérité et fiction pour crédibiliser son propos. Du politique dans un Shônen, ça surprend. Ça surprend et ça plaît. On se limite cependant à un volet politique superficiellement esquissé pour réellement laisser place à la fiction seule, occultant peu à peu la particularité historique de l'ère Bakumatsu, période de transition houleuse entre l'ère Edo et Meiji tout en restant en toile de fond et se rappelant au lecteur chaque fois qu'il sera question de justifier les grandes lignes des intrigues impulsées par les antagonistes.


Ce manque de contenu foncièrement original qui aurait pu permettre à Kenshin de réellement briller parmi ses pairs, Nobuhiro Watsuki l'avait au bout de sa plume. Mieux inscrire ses protagonistes dans un cadre historique plus marqué, où les luttes entre factions ne se seraient pas limitées à des joutes gentils-méchants mais plutôt, à des oppositions idéologiques où personne n'était dans le vrai ou dans le faux. Voilà qui aurait incontestablement étoffé le cuir du manga. Des histoires politiques plus complexes mais abordables par un public jeune où les combats se seraient faits plus rares mais plus significatifs du fait de leur portée, c'est ce qu'il aurait fallu. Nous esquisserons (et encore, si peu) cette idée dans les premiers tomes, mais l'idée sera rapidement abandonnée et abâtardie au profit d'une scénarisation classique du Shônen. Un potentiel bridé, c'est une opportunité gâchée. Kenshin aurait vraiment pu sortir du lot comme une œuvre plus mature mais aura cédé aux sirènes de l'époque et cherché à imiter les Nekketsus à succès qui se faisaient alors. Plutôt que suivre la tendance, il faut l'instaurer ; le succès n'est pas toujours au rendez-vous dans ces cas-là mais ça reste encore le seul moyen d'accéder à la postérité dans son milieu de prédilection.


Ce sera donc un cadre politique servant plus de prétexte à l'intrigue et à l'introduction de personnages divers - et archétypaux, ne vous faites aucune illusion de ce côté là - que Rurôni Kenshin s'amorce. Un petit groupe qui tournera autour du dojo Kamiya pour y vivre des aventures supposées prenantes. L'idée d'une communauté de protagonistes sédentaires me séduit encore assez bien, la convivialité est plus perceptible entre les membres. C'est assez rare pour être noté quand, à l'époque, le protagoniste moyen de Shônen avait la bougeotte et arpentait le monde compulsivement afin de répondre à une quête initiale.
Dojo Kamiya dont, la propriétaire, n'aura pour ainsi dire presque aucun combat à son actif. On m'entend rarement me plaindre que les personnages féminins soient mal exploités car, la plupart du temps, je n'en ai cure. On va rappeler que Shônen, ça veut dire «garçon». Toutefois, un personnage présenté comme le maître d'un dojo doit en principe fournir le minimum syndical en matière de kendô et savoir trancher dans le tas. Je cède rarement à la logique du marché (bien qu'il faille reconnaître qu'elle existe) dans l'édition de Shônen, mais il faut savoir un peu satisfaire le public féminin en lui donnant au moins un personnage auquel il peut se référer. Eh bien non. Kaoru ne touchera des lames qu'au moment de faire la vaisselle et sera abandonnée à son rôle de potiche chiante et pleurnicharde sensée devenir l'intérêt amoureux du héros. On retrouve très peu de personnages féminins participant aux combats dans Kenshin d'ailleurs. La seule qui me vient à l'esprit est un travesti... Je veux bien qu'en se référant au cadre historique strict, les femmes étaient très rares voire quasi inexistantes dans les joutes au sabre, mais un poil de démagogie aurait été néanmoins acceptable.


Côté combat comme côté humour, une règle prime : pas de diversité. Toujours les mêmes gags et les mêmes techniques en boucle. Ce n'est ni drôle ni imprévisible. En ce qui concerne le combat toutefois, quelques ennemis sortiront du lot et se présenteront comme la réelle attraction des affrontements. Quel dommage que la plupart de ces personnages fussent si mal développés.


L'histoire principale et le premier arc majeur met du temps à se profiler (sept volumes). En attendant, on enchaîne les histoires courtes et les personnages secondaires qui, à de rares exceptions, s'avèrent principalement insipides et dépourvus de tout intérêt.


Enfin, nous abordons l'arc Shishio. Un adversaire qui a tout pour plaire, original dans sa conception artistique, entouré d'un groupe d'antagonistes mémorables (c'est con les groupes d'antagonistes, mais ça marque bien plus les esprits que les méchants solitaires) et les motifs amenant à sa confrontation avec le héros sont de nature politique. Mais que diable, pourquoi.... pourquoi faut-il qu'il soit si méchant ?
On en revient à ce que je reprochais précédemment. Plutôt que de présenter les différentes factions en place sous un jour réaliste, sans gentil ni méchant, sans bien ou mal, l'auteur cède au manichéisme primaire en faisant des antagonistes ces personnages caricaturaux aux dents longues et pointues, riant à gorge déployée par sadisme et absolument dépourvus d'empathie. Shishio n'aurait-il pas pu nous être présenté comme un factieux contre-révolutionnaire cherchant à rétablir les acquis de l'ère Edo et lutter contre la politique d'ouverture du Japon ? Il y aurait gagné en crédibilité et en charisme. Mais non. Nooooon. Il faut que monsieur soit un psychopathe apôtre du darwinisme social le plus absurde et infantile qui soit. Décidément, les codes du Nekketsu auraient gagné à être purgés au profit d'un cadre plus mature et complexe. Il s'en fallait en réalité de peu pour vraiment rendre le tout captivant en sortant des sentiers-battus. L'originalité paie généralement mieux que le suivisme sans surprise.


Surprise toutefois lorsque l'auteur nous dévoile la puissance de Shishio, excédant même celle de Battousaï. À l'image de Toguro le cadet dans Yuyu Hakushô, il croulera sous son surplus de puissance, restant invaincu en un sens.


S'ensuit l'arc des Jinchuus. Encore une excellente idée foutue en l'air par les grosses ficelles du genre dont Watsuki aurait vraiment dû s'émanciper. Il est ici question d'un collectif de six antagonistes réunis pour se venger de Kenshin et de ses assassinats durant sa période Battousai l'assassin. Les fantômes du passé qui reviennent hanter, c'est porteur de promesses. Ce l'eut été en tout cas si ces Jinchuus n'étaient pas tous des caricatures de méchants sans saveur dont on peine même à distinguer la personnalité d'un personnage à l'autre.
J'en reviens à ma marotte ; dans un cadre narratif où, au gré des batailles idéologiques, personne n'a raison et personne n'a tort, on eut pu considérer que les assassinats de Battousai avaient pu ruiner bien des vies d'innocents ainsi que celles de leurs proches. Mais ne craignez rien brave gens, car, même durant sa période assassin, Kenshin ne s'attaquait qu'aux méchants™.


C'est donc avec ce genre de mentalité que des personnages foncièrement anecdotiques et antipathiques tels que Tekkou et Hyouko nous serons présentés. Leur malheur ? Leurs camarades ont été assassinés par Battousai. Des camarades avec lesquels, dixit Hyouko, ils organisaient des concours pour savoir qui tuerait le plus de gens. Cette précision était capitale des fois que le lecteur n'ait pas deviné à leur profil avenant que ces deux là (ainsi que le reste) étaient maléfiques par nature.
Entre ce duo expédié en deux-deux, le ninja improbable dont personne n'aurait pu deviner qu'il était malsain lui aussi, un excité frénétique comme chef (Shishio sans les bandages) qui veut venger une sœur qui s'est suicidée, Gein (j'adore les antagonistes mineurs récurrents à la Bakura ou Hol Horse, mais je préfère quand leur présence est motivée) qui est là pour on ne sait pas trop quelle raison, il y en aura quand même un qui sortira un peu du manichéisme ambiant mais qui passera les neuf-dixième de son temps à crier «Battousai» en cassant tout autour de lui. L'auteur n'a vraiment aucun respect pour ses antagonistes. Ce sont pourtant eux qui font le sel des fictions reposant principalement sur le combat. Chez Watsuki, un antagoniste, c'est un personnage qui a vocation à se faire poutrer par le héros. Ça, et rien d'autre. De la substance ? Du relief ? De la nuance ? Un rôle précis dans l'histoire ? Une personnalité ? Et puis quoi encore ! Non, ils se feront battre à coup de techniques vues déjà mille fois et quitteront l'histoire aussi vite que la mémoire des lecteurs.


Vengeance oblige, l'on était en droit d'espérer qu'ils s'en prennent aux proches de Kenshin. Nous eûmes alors droit à l'astuce scénaristique la plus bancale de l'histoire du Shônen. Kaoru, l'amour de Kenshin, est transpercée par un katana, laissée raide morte. Aoshi déterrera son cadavre quelques temps plus tard, suspectant une supercherie (pour des motifs vaseux). Ô surprise ! Il ne s'agissait pas de Kaoru mais d'une marionnette créée par Gein afin de simuler sa mort, la vraie Kaoru ayant été enlevée par Enishi.
J'aurais encore préféré qu'on me dise qu'elle avait été ramenée à la vie par l'emploi des Dragon Balls, j'aurais moins eu le sentiment d'être pris pour un con. Car en ne respectant ni ses antagonistes, ni les ressorts dramatiques de son œuvre, l'auteur ne respecte tout simplement pas ses lecteurs.


La conclusion de l'arc se présente comme une synthèse paroxystique des défauts propres à Kenshin jusqu'alors. Les antagonistes ultra-archétypiques présentés pour quelques chapitres à peine ? Plus besoin, Watsuki peut faire pire et s'emploiera à nous le démontrer pour notre plus grande consternation. Afin d'offrir en lot de consolation un combat final aux alliés de Kenshin, Heishin, le bras droit sans intérêt (et sans rôle) d'Enishi nous présentera ses gardes du corps. Tous étant des répliques identiques des autres. Des clones. Oui, Watsuki a osé. Chacun expédié en un chapitre précédant un combat final ronflant et sans surprise. Sans doute suis-je mauvaise langue, Watsuki a su instaurer un contenu politique sur la fin de Kenshin : la politique du pire.


La conclusion de l'antagonisme Saito-Kenshin me satisfera néanmoins. C'eut été toutefois plus impactant si leur relation avait été davantage développée au fil des arcs. Seulement, l'auteur ne développe ni les personnalité, ni les relations. Peut-être un interdit religieux, je ne sais pas, en tout cas, il ne déroge pas à ce principe.


La suite, même si vous n'avez pas lu le manga, vous la connaissez à compter de l'instant où vous connaissez d'autres Shônens. Tout le monde se sépare, quelques années plus tard, blablabla... une page se tourne, la dernière. Et, eut égard à la nature de la littérature pornographique qu'affectionne Watsuki, il y a peu de chance qu'on le laisse poursuivre son arc Hokkaïdo qui venait d'être publié récemment.
De Kenshin, les amateurs ne semblent avoir retenu que les bonnes idées. Pour chacune d'entre elles cependant, dix erreurs au moins venaient contrebalancer le rendu. L'auteur avait pourtant toutes les cartes en main pour faire de Rurôni Kenshin une œuvre majeure du Jump. Quand on veut devenir populaire plutôt qu'original, on en paie le prix fort.

Josselin-B
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le 15 janv. 2020

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Josselin Bigaut

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