Ça alors. Je tombe des nues, laissez-moi le temps de recouvrer mes esprits, ébahis que je suis d’avoir été ainsi frappé par la stupeur. On m’assure que l’œuvre présente est le fait de Tsutomu Nihei et... qu’elle traite d’une intrigue se situant dans l’espace ; dans un futur lointain ? Les bras m’en tombent ; j’écrirai cette critique manchot.


Revenir à ses premiers amours, exclusifs j’en ai l’impression, ne lui a je crois été d’aucun secours lorsqu’il se perdit dans ses errements, désespérément en quête de sa gloire passée, la coursant sans que celle-ci ne se trouva jamais à la seule portée de ses doigts. Sa carrière se sera composée en deux temps, BLAME! Et l’après BLAME!. La première époque étant celle d’une ascension, la seconde, d’une chute brutale et interminable dont il nous faut être les témoins depuis un quart de siècle déjà.


Je vous explique la recette, car l’histoire n’en est pas une ; rien qu’une énième émulation loupée du protocole BLAME!. Il fait nuit tout le temps. Y’a des câbles qui pendent et qui traînent partout, un design architectural post-industriel qui déborde à chaque page, des créatures grotesques et horrifiques, un contexte cryptique et excessivement technicien... À une différence près cependant ; tout est pire qu’à l’époque des grandes heures de Nihei. Le dessin est méchamment épuré, presque enfantin, le style lui a coulé le long des pages pour disparaître au dehors, ne laissant derrière que des dessins passablement lisses et quelconques.

Vous attendiez au moins une atmosphère ? Bienvenue dans l’espace, là où il n’y que le vide morne et insipide pour égayer ses journées.


Seulement, tout cela, ces reproches qui me viennent, ne valent que pour les premières pages de l’entame. C’est à croire, presque à jurer, que Tsutomu Nihei a reproduit à la lettre jusqu’à la moindre de ses habitudes pour tout aussitôt nous prendre au dépourvu. Ses personnages sont plus expressifs qu’à l’accoutumée, disons au moins au niveau de ce qui émanait des visages des protagonistes de Claymore et, choses invraisemblables quand on s’est trop habitué à l’auteur… de l’humour. Peu, c’est entendu ; il n’empêche qu’on ne pourra pas prétendre avoir été pris au dépourvu lorsque l’on sait de quoi l’auteur n’a été que trop coutumier.


À en lire les prémices, je me faisais la remarque comme quoi une œuvre pareille, beaucoup plus (beaucoup trop ?) accessible, était clairement un matériel tout trouvé pour une adaptation animée. Et quelle ne fut pas ma surprise – suivez, c’est de l’ironie – de découvrir qu’il y eut effectivement une version animée des Chevaliers de Sidonia. En 3D… marque de l’infamie s’il en est.


Toutefois, la route qui conduit au mainstream est en pente descendante de laquelle on ne remonte que rarement. Quand le premier chapitre s’est achevé avec la présentation d’un robot géant, j’ai instamment deviné que Tsutomu Nihei s’était largement compromis pour faire persister son existence éditoriale. C’est fini les Getter et autres Evangelion ; si tu nous jettes du robot géant, c’est qu’il y a intérêt à avoir quelques concepts solides autour.


Par acquis de conscience, car j’en ai une figurez-vous, je suis allé vérifier si Les Chevaliers de Sidonia était ou non un Shônen. Il faut dire que la trame, présentée en ces termes, nous évoque vraiment les shônneneries d’usage. Le manga a tout d’un Isekai jeté dans l’hyperespace où un personnage principal, franchement ingénu d’un monde qu’il découvre avec nous, se joint à tout ce beau monde pour lutter ensemble pour les aléas de l’univers. À la différence que tout est beaucoup plus compliqué sur le plan technique. Moi qui m’enchante d’un rien dès lors où un monde nouveau se déroule jusque dans ses moindres détails, ai été relativement déçu. L’univers est bien construit, là n’est pas le souci… mais on se sent étranger à ces éléments qu’on nous présente les uns aux autres.

La force de BLAME! provenait en partie de sa propension à ne jamais rien nous expliquer ; à montrer et à nous laisser maître de la déduction. Le contexte nous est ici servi tout cuit. Un peu de trop, d’ailleurs, au point où ça parfois le goût du réchauffé.


C’est une soupe au mecha. Les ingrédients y sont pléthoriques, du goût, ça en a… mais y’a guère qu’un otaku pur jus pour s’en régaler à satiété. D’autant qu’il y a mieux dans ce même registre. Le gros de l’intrigue consiste alors pour les personnages à communiquer à travers les robots en criant « Unité X a tel problème », avec, dans la salle de commandement, un ramassis de Jean-Foutre affairés à commenter en quinze paragraphes la situation présente. Y’en a à qui ça plaît, et même que je comprends ce qui les titille dans cet aspect de science fiction réaliste et théâtral.

Faut cependant dire ce qui est : ce genre de contenu, c’est pas fait pour moi.


Rajoutons à ça que le contenu est verbeux. Nihei se sera démarqué de son succès passé, mais les répliques qui nous parviennent tiennent du bavardage frivole pour la plupart d'entre elles. Cela, lorsqu’on ne laisse pas fuser quelques kilotonnes de jargonnage exagérément technique pour nous perdre.


De là, c’est avec une approche mijaurée que j’aurai accompli le restant de mon périple à travers les huit volumes offerts. C’est tout le temps la même chose, avec en plus les clichés d’usage qui, chapitre après chapitres, achevaient de me convaincre que j’avais affaire à un Shônen. La fin plan-plan n’a elle aussi que trop contribué à m’en persuader. On a mis une rouste aux Gaunas, les gentils ont gagné, les méchants ont perdu ; qu’est-ce qu’on mange ? Toutes ces heures à causer en se prenant au sérieux pour finalement nous abandonner à un contenu simpliste au possible, ce ne servait qu’à meubler le vide et simuler la consistance en gonflant le ventre.


Le contenu n’est alors pas décevant, simplement insipide. Nihei n’a jamais été doué pour décrire ses personnages qui, le plus souvent, se comportaient comme des automates glacés ; ce qui se prêtait judicieusement à ses précédents concepts. Or, plus ses protagonistes sont humains et plus on se sent étranger à eux tant ils ne nous évoquent que de vagues résonances humaines.

Ce serait mentir que de prétendre, cette fois, que les Chevaliers de Sidonia serait pareil à toutes ses autres compositions ; le fait est qu’elle n’est pas concluante pour autant. Tsutomu Nihei, en multipliant les essais, aura prouvé qu’il n’était pas l’homme d’une carrière ou d’un registre, mais d’une œuvre seulement.

Josselin-B
3
Écrit par

Créée

le 25 janv. 2025

Critique lue 140 fois

9 j'aime

4 commentaires

Josselin Bigaut

Écrit par

Critique lue 140 fois

9
4

D'autres avis sur Knights of Sidonia

Knights of Sidonia
Josselin-B
3

Nihei nié

Ça alors. Je tombe des nues, laissez-moi le temps de recouvrer mes esprits, ébahis que je suis d’avoir été ainsi frappé par la stupeur. On m’assure que l’œuvre présente est le fait de Tsutomu Nihei...

le 25 janv. 2025

9 j'aime

4

Knights of Sidonia
Doomy
7

Des dialogues dans un Nihei?

Grande amatrice de Nihei, surtout pour son trait inimitable dans le monde du manga, j'ai été frappé par sa nouvelle série, Knights of Sidonia. D'un côté, après l'incompréhensible Blame!, le très beau...

le 18 févr. 2013

6 j'aime

Knights of Sidonia
Le-Maitre-Archiviste
7

Les chevaliers de Nihei

Depuis ma dernière lecture d'une œuvre de l'auteur Tsutsomu Nihei, à savoir BLAME! et Abara, je gardais une vision somme toute unique de son travail, à savoir un soin maladif à confiner ses...

le 10 janv. 2022

2 j'aime

Du même critique

Hunter x Hunter
Josselin-B
10

Éructations fanatiques

Nous étions le treize avril de l'an de grâce deux-mille-six, j'avais treize ans. Je venais de les avoir à dire vrai ; c'était mon anniversaire. Jamais trop aimé les anniversaires, il faut dire que je...

le 20 juil. 2020

62 j'aime

170

L'Attaque des Titans
Josselin-B
3

L'arnaque des gitans

Ça nous a sauté à la gueule un jour de printemps 2013. Il y a sept ans de ça déjà (et même plus puisque les années continuent de s'écouler implacablement). Du bruit, ça en a fait. Plein, même. Je...

le 8 avr. 2020

35 j'aime

60

Monster
Josselin-B
10

Critique sans titre pour un Monstre sans nom

Il s'agit là du premier dix que je suis amené à délivrer pour une des œuvres que je critique. Et je n'ai pas eu à réfléchir longuement avant d'attribuer pareille note ; sans l'ombre d'une hésitation...

le 17 janv. 2020

34 j'aime

14