Les cadavres ça me connaît. J’en dirais pas plus pour ne pas en dire trop. Pour ça, et aussi pour paraître nébuleux, qu’on me suppute une carrière de tueur en série afin qu’on ne devine pas que j’émarge en réalité les pompes funèbres. Le fait est que ça me connaît. C’est donc d’un regard d’expert que je toise l’œuvre. Je la toisais alors d’un œil si vif qu’en peut-être six pages de temps, je remarquai l’évidence. Une évidence qui aurait sans doute échappé au commun des mortels. Ce dessin, celui des yeux et des lèvres de ses protagonistes notamment, comme une sensation d’abord, puis une certitude ensuite, m’évoqua sans peine ma lecture de MPD Psycho. Le temps d’une courte recherche et déjà, je souriais. Eiji Ôtsuka est effectivement partie prenante à l’affaire. Ah celui-ci, je crois bien l’aimer autant que je le hais. Son sens du sordide s’accordait si bellement aux immondices me remuant les méninges en continu que je l’avais presque consacré comme un maître… puis il s’était relâché avec des histoires à coucher dehors venues ensevelir les remarquables début de MPD Psycho. Et là, au détour d’une recommandation que l’on m’a faite, on se retrouve. La thématique de son œuvre, alors, laisse entendre qu’il en sera revenu à ses premiers amours.
Pas un décor ou presque dans le fond des cases, je ne me suis effectivement pas trompé d’auteur. D’ailleurs, je lis un manga qui traite du surnaturel post-mortem convenablement – avec ce qu’il faut de documentation sur tous les tenants d’une pareille thématique – après avoir récemment lu un manga qui, lui, sur ce sujet, se sera vautré dans les grandes largeurs de la première à la dernière case.
Il s’agit chaque fois, au cours de ces aventures, de tirer le meilleur parti des pouvoirs occultes des protagonistes qui, chargés de retrouver les morts, les conserver et accomplir leurs dernières volontés, se mettent à leur service. Il y a, dans le présupposé et le sens fantastique en vigueur, comme les airs d’un xxxHolic morbide ou bien d’un Level E qui se serait contenté de l’outre-monde plutôt que de l’outre-Terre ; j’entends par là un traitement assez naturaliste du surnaturel, bien que les deux termes paraissent antagonistes. Y’a un côté Maupassant dirons-nous, mais sans une once de lyrisme ; un sens du vrai et de l’authentique mêlé à ce que l’on sait être faux.
Seulement, ça se renouvelle pas. Non pas que les histoires se répètent – les auteurs travaillent à offrir de la variété à chacun de leurs cas – cependant, la lassitude guette bien assez tôt. Les personnages principaux – et plus encore les secondaires – sont assez lisses et inintéressants, les intrigues vont d’elle-même. Kurosagi, livraison de cadavres, pour se laisser bercer par un flot de surnaturel méphitique et, néanmoins, jamais trop gore ou tapageur, pourquoi pas. SIl n'empêche, vingt-huit volumes entiers où les enquêtes se suivent et parfois, se ressemblent dans leur déroulé, finissent bien assez tôt par suggérer l’indifférence chez leur lecteur. D’une pareille lecture, jamais ou presque on ne trouve motif à en être déçu, mais jamais non plus à être surpris. Nous suivons le cours d’une rivière paisible ; la balade est agréable, mais elle nous devient quelconque passé le premier kilomètre parcouru. Je lisais alors un Mushishi ancré dans la modernité tokyoïte qui, s’il enchante à ses débuts, ne propose cependant pas grand-chose passé ses prémices.
Kurosagi, livraison de cadavres aurait eu tout à gagner à ne durer que trois volumes. L’œuvre a en effet très largement expiré sa date de bienvenue. Outre le postulat, rien n’aura été rajouté par la suite. Lisez le premier chapitre, remodelez-le en gardant les protagonistes en modifiant l’histoire entourant le ou les prochains cadavres, et cela dure vingt-huit tomes encore. Il aurait fallu savoir faire peau neuve, tenter des intrigues plus élaborées, mieux garnir la distribution de personnages secondaires récurrents quasiment absents ; soit créer une œuvre plutôt qu’une compilation d’histoires campées sur les mêmes assises. Il n’y pas d’intensité dans ce récit, rien qui ne vous agrippe et vous entraîne à poursuivre la lecture.
Non, décidément, trois volumes auraient suffi pour marquer sans lasser. C’est ça le malheur d’Eiji Ôtsuka, d’avoir d’excellentes idées de composition, mais de ne jamais savoir comment les exploiter, allongeant la durée d’œuvres qui ne demandaient qu’à être courtes. Ce manga-ci, il a vingt-huit volumes pour lui, et en bout de course ; une course si longue qu’elle ne vous fait pas perdre haleine mais vous endort au volant, je n’ai finalement que très peu de choses à en dire, ce qui seulement tend à indiquer la pauvreté du contenu. Car excepté un nouveau cas pratique présenté à l’occasion de chaque chapitre qui vient, tout y est sans cesse la même chose si bien qu’on ne pourrait trop commenter sans répéter inlassablement les mêmes choses au sujet de l’œuvre.
Pour une découverte et un contenu un peu hors-les-murs traité convenablement, une pareille lecture se défend et même, s’encourage… mais au-delà des côtes des rivages que je vous suggère d’aborder, je vous dis que le paysage ne sera jamais que la même morne plaine sans une aspérité ni un arbre à vous offrir sur votre parcours. Kurosagi, livraison de cadavres se découvre plus qu’il ne se savoure. Il tient lieu d’appétitif ; on peut piocher dedans pour se ravir les papilles un instant, mais un bref instant seulement. Car jamais on ne fera un repas d’une œuvre dont le contenu, finalement, s’avère si pauvre malgré la pléiade d’idées entourant le traitement de la thématique.
Découvrez ce manga, mais contentez-vous de seulement le découvrir sans trop approfondir la lecture. L’envie de ce faire, de toute manière, se tarira bien assez tôt.