C’est une de ces critiques qui s’écrit à la suite d’un soupir liminaire ; un soupir dont on ne sait jamais trop s’il est amusé ou désabusé. Le fait est que de cette œuvre-ci, il faut en parler. Il faut en parler tout en retenant les rictus qui nous viennent ; qui nous assaillent. Non, décidément, de cette thématique-ci, je n’étais pas censé en rire et pourtant… ce fut si déplorablement amené – malgré un coup de crayon pourtant signé Ryoichi Ikegami – que le flanc se prêtait à une inexorable estoc sanglante. Qu’on s’entende, ça n’est ni charitable ni nécessaire de tirer sur le corbillard ; surtout quand celui-ci a les pneus crevés, mais bon sang ce que ça fait du bien.
Soyez avertis, la critique qui suit va virer au pamphlet politique, et à toute blinde qui plus est. Je ne vous parle pas de quelques allusions insidieuses glissées plus ou moins subtilement entre les lignes, non. Clairement… non. Ça va être gras, ça va être sale ; ça le sera même tellement qu’on pourra dire que le commentaire présentement rédigé répondra au diapason de l’œuvre comme un écho lointain.
Une quelconque recension d’un manga nommé « Kyoko » ? Vous n’en trouverez pas ici. Non monsieur, non madame. Je vous prie de circuler. Circulez vite, circulez loin et, surtout, ne vous retournez pas.
Comment ? Vous restez ? La curiosité vous a piqué au vif ? Les anglo-saxons ont un proverbe pour ça : « La curiosité a tué le chat ». Et parfois, c’est toi le chat.
On va en parler de Kyoko et, bien que le manga trouve sa juste place, lové qu’il se trouve dans les bras de l’oubli, il va falloir qu’on la titille, cette sale bête.
Pratiquer l’exhumation pour pisser sur un cadavre, vous admettrez qu’il y a de l’acharnement dans le procédé. Et pourtant, je n’aurais pas pu agir autrement même si ma vie en dépendait. Ce que je m’apprête à commettre, ça n’est pas un exercice critique ou bien la rédaction d’un quelconque retour relatif à une œuvre donnée ; c’est un besoin physiologique. Qui, décemment, laisse traîner un gros abcès purulent sans que jamais ne lui vienne à l’idée de le percer ? Saisissez l’analogie et, dès lors, comprenez la démarche ; je pouvais pas faire autrement que d’en parler. Et pourtant, j’aurais tout eu à gagner à me mordre la langue et à me coudre les lèvres, car ce que je m’apprête à perpétrer, c’est une microchirurgie sensible pratiquée à la disqueuse.
Dernière chance pour faire demi-tour, car passé ce cap de lecture, vous admettez tacitement ne plus être fondé à émettre la moindre réserve quant à ce que je m’apprête à écrire. Et je sais pertinemment, lorsque j’écris ceci, que cette énième mise en garde ne contribuera qu’à mieux vous mettre l’eau à la bouche. Car si tant de pincettes sont prises avant que l’œuvre s’entame, c’est qu’il y a quelque chose de bien écœurant sous le drap.
L’histoire se passe consécutivement à une fête au Japon. Deux jeunes gens, un homme et une femme, s’en retournent chez eux la nuit et coupant à travers la base militaire américaine (je rappelle que je Japon est un pays occupé). Ils discourent alors de projets d’avenir, ils sont innocents ils sont beaux et… ah, tiens, voilà qu’arrive à une voiture qui se gare devant eux. À bord, il y a quatre hommes. Des Américains. On trouve la lubricité et le vice tout plein dans leurs yeux. Ils descendent de la jeep militaire, ces mauvaises gens – ne se présentent même pas – et, d’emblée, violent la jeune fille devant son compagnon. Compagnon qui, le temps de ce supplice infâme, aura une érection devant le malheureux spectacle.
Voilà qu’un homme – un autre – surgit à son tour. Il est beau ; le dessin d’Ikegami a été plus soigné que de rigueur pour nous le faire comprendre : c’est un justicier. Bien que lui aussi soit un soldat américain, il désavoue ses compatriotes. Il leur dit, tandis qu’ils sont encore affairés à la sordide bagatelle qui est la leur « Vous êtes la honte des États-Unis ». Aurait-on joint la musique à l’image, que nous aurions entendu l’hymne américain. Je sais, en tout cas, que je n’ai pas pu m’empêcher de me mettre au garde-à-vous. Ah que c’était beau cet élan d’héroïsme.
Ah que c’était con.
Je marche sur des œufs. Pire encore, je roule dessus au rouleau-compresseur. C’est d’un viol dont il est question. Présenté très graphiquement qui plus est. Autant vous dire que monsieur Ikegami – dont le dessin me sera apparu relativement quelconque comparé à bon nombre de ses compositions – n’a pas prêté sa plume à la plus noble des causes. Je l’avais écrit, je crois, à l’occasion de ma critique de Berserk : le fait d’exposer un viol aussi ostensiblement ne le rend pas plus impactant, mais immature et tapageur. Il faut comparer le traitement de cette thématique – sensible, vous en conviendrez – à celui de Shamo où la scène passe par l’allusion, tout en s’avérant à terme bien plus dévastateur.
Le viol, ainsi dépeint dans Kyoko, est présenté avec tant de ridicule qu’on ne peut qu’en rire. Ce qui, vous l’admettrez… est déplorable.
Les quatre G.I arrivent et violent la jeune femme quasiment dans la seconde – devant témoins en plus – et repartent en s’imaginant rester impunis, se complaisant dans un rire gras afin d’exprimer la satisfaction assumée d’avoir si bien accompli leur triste besogne.
Non, madame Ieda Shoko, ça se passe pas exactement comme ça. À moins qu’il ne s’agisse d’une agression subite – ce qui implique le plus souvent un seul individu – ce genre de scénario, où plusieurs hommes violent une jeune fille, suppose généralement que les coupables séduisent d’abord leur proie, l’isolent, et s’adonnent à leur forfait loin des regards indiscrets après avoir trompé la vigilance de leur suppliciée. Et si ces gens-là ont commis leur crime le visage affiché… ils tueront vraisemblablement la jeune fille afin de se prémunir des conséquences.
Là ? Ils sont tombés sur Kyoko comme ça, au hasard au beau milieu d'une route, l’ont violée dans l’instant même en extérieur, exposés qu’ils étaient aux regards et aux oreilles susceptibles d’entendre au loin les cris, le tout, devant son compagnon et après avoir été aperçus par leur officier supérieur.
Déjà, rien ne va. Mais qu’on se rassure, ça s’aggrave.
Prenez garde, c’est là où ça devient politique, et salement.
Kyoko est paru en 1995. L’année ne vous évoque sans doute rien de bien particulier. À moi non plus du reste. Jusqu’à ce que je fasse travailler ma mémoire. Cette histoire de jeune femme violée par des soldats américains stationnés au Japon, l’année 1995… y’avait comme un truc qui me restait en mémoire. Et ça y’est, j’y étais : l’Incident d’Okinawa.
Trois hommes de la marine américaine, au Japon, avaient en effet violé une jeune fille cette même année, avant la parution qui nous réunit ici. Kyoko est clairement inspirée de cette histoire pour être sorti consécutivement à ce regrettable incident. À la différence près qu’ici, la fiction prendra le pas sur la réalité en s’accordant quelques infinies largesses. Kyoko est en effet une histoire de revanche ; la victime retrouvant ses bourreaux pour les éliminer un à un tout en remontant la piste d’un complot international ridicule. Là n’est cependant pas le sujet du grief. Un grief qui ne demande qu’à me sortir de derrière les crocs et que je m’en vais vous cracher de suite pour le plaisir de perdre des abonnés.
Allons-y sans ambages et tirons d’un coup sec sur le sparadrap : dans Kyoko, les violeurs sont des blancs et le colonel Brown, venu sauver la jeune fille, est noir.
« Eh quoi ?! Cela n’a pas d’importance ! Votre dernière réunion du K.K.K s’est-elle donc si mal passée que vous ressentiez le besoin infâme, répulsif et même… compulsif, d’accabler des personnes parce que leur épiderme ne vous convient pas ?! Vous n’êtes qu’une sale race, Josselin Bigaut. Et ce, même si les races, naturellement, n’existent pas. »
Ainsi, en le formulant par avance, je vous épargne la gêne de devoir écrire pareille ineptie. Je vous dirai simplement une chose – plusieurs en réalité – Kyoko est une réponse au viol d’Okinawa. Viol dont je me permets présentement de vous transmettre la photo des trois coupables. Coupables dont l’article Wikipedia a supprimé la photo depuis le jour où j’ai prérédigé cette critique, soit environ deux ans auparavant.
Je vais vous laisser un peu de temps pour que ça s’imprègne dans la rétine. Le temps pour vous de comprendre, peut-être, que Ieda Shoko – sur laquelle j’ai pris soin de me renseigner – en commettant cette œuvre, allumait en réalité un contre-feu quelque peu maladroit sinon malhonnête à outrance. On pourrait évacuer toute considération ethnique, faire comme si cela n’avait aucune espèce d’importance… malheureusement, en lisant Kyoko, il nous faudra mettre les deux pieds dedans et s’y enfoncer jusqu’aux genoux.
Ça n’est pas incidemment que le héros se trouve être noir et si les coupables sont blancs ou Japonais. Il faut d’ailleurs le voir, ce colonel Brown, la première fois qu’il nous est présenté. Situez-vous le scène, il arrive au beau milieu d’un viol en réunion ; pas avant, pas après… PENDANT, et à peine descendu de la voiture, il se présente comme suit.
Qui… présenté à une scène de viol s’orchestrant sous ses yeux, s’affiche ainsi, le dos droit, le visage implacable, l’air auguste, un regard héroïque porté vers l'horizon, en prenant en plus le soin d’ôter ses lunettes de soleil (la nuit, en plus...) après être tranquillement sorti de son véhicule pour prendre la pose sans se presser ?
Personne. Pas moi, pas vous… PERSONNE. Et fort heureusement d’ailleurs. Il n’a d’ailleurs pas un mot plus haut que l’autre à adresser aux hommes qu’il sermonne… alors qu’il devrait au moins chercher à les flinguer ou à leur rouler dessus. Non, ici, le colonel Brown est trop occupé à avoir l’air héroïque pour réellement faire quelque chose.
Que la scénographie l’ait présenté comme un si bel homme – avec des traits européens, mais passons –, comme la droiture incarnée jusqu’à la moindre de ses postures, cela force tellement le trait pour nous le rendre héroïque… qu’il nous le fait passer pour un con. Parce qu’il est parfait en plus, cet homme-là. Vous lisez Kyoko ? Vous lisez un manga où les blancs sont des violeurs frénétiques, où le Japonais moyen est un sous-homme lâche qui bande en se laissant déposséder de sa femme sous ses yeux par des étrangers, et où le ravissant colonel noir est un modèle de probité, de courage et de vertu. Et le tout, publié quelques semaines après qu’une jeune fille ait été violée par trois noirs américains.
Bien sûr qu’il est permis de se dire que tout cela est fortuit, innocent… que madame Ieda Shoko n’avait aucun biais racial en tête lorsqu’elle a attribué les rôles. Peut-être même que vous pourrez vous en persuader. Je pourrais être taquin et vous demander ce que vous auriez pensé d’un scénario où une Japonaise se fait violer par plusieurs noirs (ce qui est arrivé à Okinawa) pour être sauvée par un blanc. Là, en écrivant ces quelques mots, je sens déjà que certains se sont raidis. Peut-être même ont-ils tressailli.
Ieda Shoko a clairement un compte à régler sur le plan racial. J’affabule ? Je spécule au doigt mouillé ? Disons que j’ai mené ma petite enquête, assez pour découvrir que cette charmante demoiselle était… comme qui dirait, un brin coutumière du fait. Oui, je fais son procès.
Ce qu'on lit, dès la deuxième ligne de la fiche de l'auteur sur Wikipedia la présente comme suit :
« She is known for titillating novels replete with interracial sex scenes ».
On sent, au gré de ses récurrences éditoriales, qu'il y a comme un biais chez elle. Le genre qui provoque les mauvaises gens. Ceux de mon genre par exemple. Pour avoir survolé certaines autres de ses compositions, j’ai pu en attester, elle est monomaniaque sur le sujet.
Que madame Shoko ait un faible pour les hommes noirs, ça la regarde. Qu’elle nous ponde ensuite des œuvres où la Japonaise moyenne se donne systématiquement au noir parce que le mâle Japonais est faible – récurrent là encore – j’ai comme l’impression qu’elle a un prêt-à-penser à nous servir. Peut-être certains apprécieront cette vision politique – car c’en est une, ne nous cachons pas derrière notre petit doigt – … je trouve cependant maladroit ; on va dire ça pour ne pas écrire « dégueulasse », de tordre la réalité des faits à ce point au lendemain même de l’affaire des viols d’Okinawa. J’essaye en tout cas de me représenter ce qui aurait pu passer par la tête de la victime si celle-ci avait lu Kyoko.
Madame Ieda Shoko serait malhonnête dans le traitement de ses sujets ? On devine en tout cas qu’elle aurait pu davantage se renseigner sur la condition des femmes victimes de viol, à supposer qu’elle ait ouvert un seul ouvrage sur la question. Car lorsque l’on voit – le lendemain même de son viol – une Kyoko pimpante et amourachée de son beau colonel comme si rien ne s’était passé… pareille négligence, dans le traitement d’un thème qui suppose en principe un minimum de sérieux, rajoute comme une dose de crime sur le vice.
Mais là n’est pas le pire dont elle est capable. Sa fiche Wikipédia en anglais est une véritable mine d’or perdue dans une fosse sceptique. George Sarratt, son assistant de recherche pour Yellow Cab, une autre de ses œuvres traitant – ô surprise – de relations sexuelles interraciales où les femmes Japonaises se donnent complaisamment aux étrangers noirs, a témoigné quant au fait que ses recherches sur ses sujets étaient « frauduleuses ». Ieda Shoko allant en effet jusqu’à tronquer les citations des interviewés afin de leur faire dire le contraire de leur propos pour ensuite écrire son manga en conséquence. Mais ça n’est pas le genre de madame Shoko de prendre le contre-pied de la réalité. Du tout, enfin. Il suffit de jeter à nouveau un regard aux coupables des viols d’Okinawa pour s’en convaincre. L’un d’eux fut même récidiviste et ce, après que tous se soient ÉVIDEMMENT présentés comme des victimes de racisme de la part des Japonais pour les avoir accusés.
Passons.
Cette femme, cette auteur de renom de la décennie 1990, sachez-le, se sera attirée les foudres et le mépris de ses pairs, aussi bien au Japon qu’à New York pour la manière honteuse dont elle traitait ses sujets. Cela, seulement, vous situe à peu près l’artiste dans ses belles œuvres. C’est un peu la Caroline Forest nippone si vous souhaitez une comparaison plus appropriée. Je la suspecte d’ailleurs elle aussi d’avoir au cœur quelques inclinaisons saphiques. La proximité n’en est ainsi que mieux renforcée.
Et vous pensez qu’elle s’arrêterait au seul postulat de Kyoko, madame Shoko ? Qu’elle s’imaginerait en avoir fait assez ? Cinq chapitres plus tard, voilà que deux soldats américains – deux blancs là encore – cherchent une fois de plus à violer la belle. Mais ça s’arrête pas là. Kyoko s’engage dans l’armée, où tous les hommes sont plus incompétents qu’elle… une femme de quarante kilos tout mouillé, et ces derniers tueront sa meilleure amie…. une noire américaine.
Heureusement, elle aura un autre ami. Robert, un journaliste américain. Et noir. Dont la femme sera violée par les méchants soldats blancs et qui se fera ensuite tuer dans une explosion.
Vraiment, je fais du mieux que je peux pour ne pas voir le biais racial, mais même en fermant les yeux très fort, ça me brûle la rétine. D’autant que l’on est embarqué dans une affaire de complots aux ramifications délirantes dont Kyoko, rien qu’avec ses petits bras, va tout démêler en trois semaines de temps. L’affaire de son viol remonte en effet jusqu’à la vice-présidence américaine ; une dominatrice SM qui fouette ses collaborateurs dans son bureau et les force à lui pratiquer un cunnilingus.
Madame Shoko… y’a un moment donné où vous vous êtes demandée « J’en ferais pas un peu trop ? ». Parce que je pense qu’il y aurait fallu que la question se pose. Comment je fais, même avec la meilleure volonté du monde, pour prendre au sérieux un récit où tout m’enjoint à rire tant le ridicule y est outrecuidant ? Je sais bien que les élites politiques sont réputées pour être libidineuses et dépourvues de la moindre once de décence…. mais elles ont généralement l’intelligence de ne pas faire ce genre de choses dans leur bureau au beau milieu de la journée.
Et Kyoko, pourtant violée il y a encore peu, finit par tomber amoureuse et coucher avec Bobby. Car une femme violée, c’est bien connu, est toujours partante pour un petit coup dans les semaines qui suivent.
Mais comment, en tant que femme, on peut écrire aussi désinvoltement sur un sujet aussi sensible ?
Ah oui, et Kyoko assiste à un viol un peu plus tard. Parce que pour madame Shoko, y’a des viols partout, apparemment. Mais heureusement, Kyoko, en trois semaines, est devenue un soldat surentraîné capable de tabasser les deux violeurs pesant au bas mot quarante kilos de plus qu’elle chacun. Y’avait d’ailleurs un noir parmi eux ! Mais lui, il était moche. Vous le saurez donc, quand les gens sont moches, il faut s’en méfier. Mais dès que leur plastique est agréable, vous pouvez baisser votre garde.
Ce manga est vraiment la séquence matricielle qui a pu faire émerger des fausses couches de la trempe d’un Tetsuya Tsutsui. L’ADN est le même. L’odeur, aussi.
Plus tard, la vice-présidente des États-Unis fait décapiter les parents de Kyoko pour mettre leur tête dans une jarre de formol. Elle fait de même avec le cadavre de Brown à qui, sur la table d’autopsie, elle a pratiqué une fellation.
Ah c’est un manga sérieux ! Promis, juré. Y’a vraiment rien dans le récit qui se trouve à même d’en décrédibiliser le propos. Rien. À l’exception de tout.
On aura aussi droit à une éloge du candaulisme quand, Masaru, l’ancien petit-ami de Kyoko, assure que faire preuve d’amour, c’est se battre pour l’être aimé en sachant que celle-ci en aime un autre. C’est pas franchement un message à valoriser auprès de la jeunesse, j’en ai bien peur. Depuis Notre-Dame de Paris, on connaît la chanson, et Dieu sait qu’elle sonne faux. Surtout compte tenu du fait que Kyoko se sera donnée à tout le monde sauf à ce pauvre Masaru avant la toute fin de l’œuvre. Et sans capote là encore.
Au passage, vous apprendrez que si la vice-présidente est si méchante, c’est parce qu’elle « rejette l’Amour ».
Même un méchant de Shônen ne l’aurait pas osée celle-là. Mais Ieda Shoko, elle ose. C’est d’ailleurs à ça qu’on la reconnaît.
Je vous ai dit que son manga était censé être sérieux du fait de la gravité de sa thématique ? Donc retenez-vous de rire je vous prie. Même si c’est très dur.
Au terme de cette aventure trépidante, Kyoko renverse la voiture de la vice-présidente des États-Unis, la braque… mais renonce à la tuer. Car elle a senti que Brown n’aurait pas été d’accord avec ça. Et donc, elle rentre chez elle, au Japon, renonçant à la vengeance.
Que je vous prévienne cependant, si vous commettez un attentat contre le vice-président des États-Unis – ou de quelconque autre nation que ce soit par ailleurs – vous ne rentrerez pas chez vous. Ieda Shoko, néanmoins, n’est pas à un raccourci scénaristique près pour nous navrer un peu plus ; pour nous navrer un peu mieux. Kyoko a commis plusieurs homicides sur le territoire américain, s’est faite une ennemie de la vice-présidente des États-Unis… mais elle rentrera tranquillou chez elle en avion sans que ses actes n’aient eu une quelconque incidence.
Heureusement que Ieda Shoko a les dessins d’Ikegami pour couvrir son écriture. Ça ne suffit cependant pas à dissimuler l’odeur.
Kyoko, quoi qu’on en dise, quoi qu’on en pense, est clairement un fantasme de son auteur. Un fantasme sur lequel je n’oserais trop me pencher de peur d’avoir à déverser le contenu de mon estomac, mais un fantasme de collégienne frustrée qu’on aura dispensé sur quatorze chapitres.
Le souci étant, qu’avec de pareilles œuvres, celles-ci paraissent gagner en crédibilité rien qu’à contempler le dessin de Ryoichi Ikegami. De ses planches, en effet, un semblant de sérieux paraît en émaner en continu. Ça a tous les attraits de la gravité, Kyoko, du moins jusqu’à ce qu’on le lise. Car outre la malhonnêteté intellectuelle criante de son auteur et un ramassis de délires auxquels même les mangakas comiques les plus burlesques auraient renoncé, Kyoko est une immondice se torchant allègrement avec tout ce qui se rapportera de près ou de loin à l’éthique, à la décence, à la vérité ou encore à la saine écriture. Pour qui est doté d’un système nerveux fonctionnel, tout, à la lecture, y apparaîtra nécessairement répugnant et malsain derrière ces faux airs d’héroïsme moderne.
Si la critique fut politique, c’est parce que l’œuvre l’était tout autant voire plus encore. Lisez Kyoko pour vous en convaincre, vous ne me pardonnerez que mieux d’avoir laissé échapper mon « biais cognitif » au risque d’effleurer les âmes sensibles. De cette critique, je le sais, j’en sortirai allégé de plusieurs abonnés, mais aussi d’un poids sur la conscience qui aura pesé lourd tout le temps de ma lecture. Quel bien ça fait de le sentir s’envoler après l’exorcisme que je viens de commettre.