Annoncé à grand renfort de phrases fortes, comme « Moore revisite Lovecraft », les albums Néonomicon et ceux de la série Providence ont fait grand bruit dans le milieu de la bande dessinée.
Alors, le résultat est-il à la hauteur de la promesse marketing ?
Il m’a suffit de lire que le plus grand conteur de tous les temps -Alan Moore- allait écrire des #BD dans l’univers du père du fantastique -Howard Phillips Lovecraft– pour que mon excitation soit à son comble.
Le dernier tome de Providence étant sorti, j’ai donc lu dans la foulée la série (3 tomes) et Néonomicon.
En fait, je vous conseille de les lire dans l’ordre inversé : d’abord Néonomicon, et ensuite les trois tomes de Providence, la série faisant des références à Néonomicon et en concluant même histoire dans le dernier chapitre du dernier tome.
Ceci étant posées, il est temps de répondre à la question que vous vous posez tous : a-t-on là du génial Alan Moore ?
Clairement, c’est décevant. Très bon, certes, mais décevant.
Paradoxale ? Même pas !
Comment cela pourrait-il être mauvais quand c’est le fruit d’un auteur aussi accompli et brillant dans l’art de la narration qu’Alan Moore ? Il y a des passages génialissismes, d’autres dont le choc vous plaque au fond de votre fauteuil, des références et clins d’œil jouissifs... mais en quantité nettement insuffisante pour parvenir à faire abstraction des défauts du récit.
Le principal réside dans la naïve stupidité –persistante !– du protagoniste. Les longues pages de fin de chapitre qui reproduisent le journal intime du protagoniste sont d’une lourdeur répétitive. Fastidieuses à lire, elles ne sont là que pour appuyer avec obstination le fait que le protagoniste oppose des raisons cartésiennes aux événements surnaturels auxquels il est confronté. Mais, c’est tellement gros, qu’au out d’un moment on se surprend à penser : « c’est pas possible d’être aussi con ! ». Et là, hop, on sort du récit -ce qui est le pire pour une histoire qui repose sur l’ambiance oppressante qu’elle est sensée inspirer !
Je comprends bien l’intérêt narratif de ce procédé, mais l’insistance répétée par laquelle il est exprimé est juste assommante et en devient contre-productif.
L’autre défaut réside dans la confusion où s’empêtre le récit. La preuve en est que l’éditeur a jugé bon de faire, à la fin de chaque tome de Providence, deux pages d’explications.
À vrai dire, quand on les lit, on a vraiment l’air d’être un imbécile inculte, car quelque soit votre connaissance du mythe de Cthulhu et de la vie de Lovecraft, il est impossible d’en savoir autant que toutes les informations que Moore a regroupées lors de ses recherches préparatoires. Du coup, ces notes deviennent indispensables pour éclairer les lecteurs sur toutes les références et clins d’œil qu’ils auraient pu manquer par faute d’avoir passé six mois à étudier la vie et le du Maître. Or, une œuvre doit se suffire à elle-même. Imaginez-vous un seul instant Steven Spielberg venir à la fin de la projection d’un de ses films expliquer pendant 20 minutes tout ce que vous n’avez pas pu voir ou qui n’était pas très clair dans son œuvre ? Impensable !
Le fait que l’éditeur ait jugé ces notes indispensables à la bonne compréhension de ses histoires suffit à prouver que, même pour lui, elles n’étaient pas éditables telles qu’elles.
Ce qui nous amène au dernier défaut de ces BD.
Comme l’éditeur n’a de cesse de le rappeler dans ces fameuses notes, Alan Moore joue, durant tout le récit, autant avec des références propres à l’univers de Lovecraft qu’avec des éléments de sa vie réelle et, dans un exercice narratif, s’amuse à les mélanger jusqu’à brouiller définitivement la limite entre les deux. Là où je trouve cela dérangeant, c’est que l’exercice prend le pas sur l’histoire. Or, personnellement, j’achète une (bonne) histoire avant un exercice narratif. Pas l’inverse.
Les exégètes se délecteront donc de cette mise en abîme à travers cet exercice technique que s’est imposé l’auteur. Les autres regretterons que celui-ci aist pris le pas sur la clarté du propos et de l’histoire.
C’est d’autant plus dommage que Moore aurait pu nous livrer, avec Néonomicon et Providence, une œuvre aussi grandiose qu’avec Les gardiens ou encore l’immense V pour Vendetta...
Néonomicon et Providence (3 tomes) sont éditées par Panini - 18 € l’album.
Scénario : Alan Moore / Dessins : Jacen Burrows