Après l'anticipation du diptyque "... Lune", "l'Affaire Tournesol" confirme l'arrimage des "Aventures de Tintin" dans une forme de fiction à la fois plus adulte - on est loin désormais de la fantaisie débridée des débuts - et plus moderne... même si ce modernisme peut faire courir le risque à terme d'un déficit d'intemporalité (... qui ne s'est toutefois pas matérialisé à date, je dois l'avouer...). Encore de la technologie d'avant-garde, donc, placée cette fois au coeur d'un thriller marqué par la guerre froide que l'on pourrait presque qualifier d'hitchcockien ! Le résultat est sans doute l'un des Tintin les plus passionnants, au rythme irrésistible et aux péripéties annonçant les grands thrillers cinématographiques de notre époque (Tintin serait-il ici un lointain ancêtre de Jason Bourne ?). Il me semble d'ailleurs me souvenir que "l'Affaire Tournesol" était considéré dans les années 60 comme une sorte de nec plus ultra de l'aventure policière pour enfants... au moins dans la cour de récréation de mon école ! Bien sûr, ce qui lui a permis de résister aux outrages du temps, au delà de sa "mise en scène" au timing impeccable (relisez les quelques pages dans la loge de la Castafiore, elles sont éblouissantes...), c'est l'efficacité d'un humour à la fois conceptuel (le gag récurent du sparadrap est digne du meilleur Tati) et pour la première fois "social" (avec l'apparition de l'insupportable Lampion, c'est le triste chaos et la trivialité consumériste de notre monde inculte et sans gêne qui fait irruption chez Tintin...). Finalement, devant ce presque chef d'oeuvre, on ne peut avoir qu'un seul regret : que Hergé ait cru nécessaire de faire se dérouler une partie de l'action de "l'Affaire Tournesol" dans un pays imaginaire tel que la Bordurie, mélange mal équilibré de dictature typique de l'avant-guerre et de communisme à la Yougoslave... Une "Affaire Tournesol" se déroulant en RDA ou en Yougoslavie, justement, aurait quand même eu une autre gueule ! [Critique écrite en 2017]