Dans la peau de l'ours
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On ne présente plus Ralf König, le « roi » teuton de la BD gay, dont l’ensemble de la production évoque avec un humour et un dessin très bretécheriens les mœurs de la communauté homosexuelle, avec deux personnages récurrents : Conrad et Paul. Le couple est un cas d’école, faisant taire les clichés sur l’impossibilité d’une vie conjugale durable entre hommes, liée pour certains à leur supposée sexualité débridée… Et pourtant… si Paul est plus fortement porté sur les choses du sexe, irrésistiblement attiré par les mâles costauds et virils et donc littéralement incapable de modérer ses pratiques libertines, Conrad représente le pilier du couple, le confident compréhensif, plus intello et plus posé, plus âgé aussi mais surtout, amoureux de Paul comme au premier jour malgré les infidélités répétées de ce dernier. Malgré cela, ces messieurs viennent de franchir allégrement les trente ans de vie commune !
Trente ans, ça veut dire aussi que de l’eau a coulé sous les ponts et que les corps ont pris du plomb dans l'aile. Pour la plus grande terreur de Paul, qui imagine mal de voir basculer sa vie sexuelle sous un régime monacal, et refuse même de l’envisager une seule seconde… Hélas, les signes sont là et se multiplient, qu’il s’agisse des anciens compagnons de partouze devenus vieux et gras, ou des comportements méprisants des jeunes mâles arrogants… Paul, qui ne veut pas devenir un « pervers pépère », frise la déprime et quand on a un sexe à la place du cerveau, il est plus compliqué d’agir avec rationalité ! Heureusement, son vieux compagnon Conrad est là, et comme il l’a toujours fait, va l’accompagner dans cette phase cruelle et décisive de la vie à laquelle personne n’échappe…
Le vieillissement et la déchéance sont globalement une tragédie humaine, qui n’amuse et ne rassure personne. Chacun cherche à ralentir le compte à rebours à sa manière, en espérant que les souffrances liés à la décrépitude seront les moins douloureuses possibles.
Avec ces chroniques sociales de la « sénioritude gay », on ne peut pas dire que König se soit renouvelé mais il n’a rien perdu de la verve comique qui a contribué à son succès. Si l’on dit que l’humour est la politesse du désespoir, l’auteur allemand applique l’adage à merveille en dédramatisant ici un sujet perturbant. L’hypocondrie de Paul reste le gimmick hilarant de cet album, qui atteint son point culminant par un bond temporel, où l’on voit Conrad et Paul dans une maison de retraite, ce dernier cherchant à booster sa virilité perdue en se procurant du viagra auprès d’un autre pensionnaire. Comme toujours, il y a ce côté reiserien assez trash dans le dessin, mais dans le cas présent, il y a en plus quelque chose de touchant dans le fait de voir ce couple vieillir et s’aimer malgré les années, résolu à rester épicurien jusqu’au bout… En fin d'ouvrage, Paul a survécu, n’a pas fait de TS ni de dépression, sans doute grâce à Conrad, et l’on en est ravis !
Créée
le 5 août 2020
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