Paru trois mois après le premier volet, on ne constatera aucune rupture avec ce second tome, qui continue à nous captiver grâce à un scénario tendu comme un arc. Ce polar noir et électrique va encore évoluer ici dans une tension croissante, et Franck Sangaré va prendre cher, très cher même. Ce détective taciturne et peu amène va finalement réussir à susciter l’empathie du lecteur dans une scène spectaculaire évoquant « Reservoir Dogs » où il jouera les souffre-douleurs du Derviche, le jeune homme en fugue qu’il était censé ramener chez sa riche maman, laquelle espérait peut-être le sortir du milieu peu recommandable où il était tombé du fait de son addiction à la dope. Celui qu’on avait entrevu dans le premier tome et dont le regard halluciné nous avait marqué se révèlera être un véritable psychopathe d’une cruauté implacable et guidé par une folie comparable à celle du célèbre Joker.

Au-delà du scénario puissant de Serge Lehman, ce que l’on retient, c’est cette galerie de personnages tous plus ou moins azimutés, personnages parmi lesquels Romane la touriste et Paco le berger misanthrope semblent à peu près les seuls un tant soit peu équilibrés, si ce n’est leurs fêlures intérieures symbolisées par leurs cicatrices corporelles qui ne font que les rapprocher. Et si l’on apprécie cette aptitude chez Lehman à donner de la consistance à ses personnages, même aux plus anecdotiques, on se doute que la participation de Frederik Peeters, même s’il endosse ici le rôle de dessinateur, y est sans doute pour quelque chose. Habituellement, les récits dont il est le scénariste mettent également en scène des protagonistes bien campés psychologiquement, une qualité renforcée par son trait expressif.

Peeters poursuit dans son parti pris radical dans la colorisation — en particulier dans les scènes d’intérieur ou urbaines —, qui, même si l’effet de surprise est déjà passé, emporte l’adhésion. La scène de l’interrogatoire de Sangaré reste la plus édifiante, tout en fureur et en douleur, avec une lutte crispée entre le bleu et le rouge qui culmine dans un jaune explosif. De même, on est séduit par le cadrage très cinématographique et l’ambiance à la Twin Peaks de ce récit choral, en particulier lors des dernières pages où s’égrènent des plans fixes sur les personnages de l’épisode, exposant au lecteur leur solitude et leur douleur, conscientes ou non, dans un silence nocturne et tragique.

Une fois de plus, ce tome nous laisse impatient, se concluant par l’apparition en toute dernière page d’un personnage mystérieux en imper et à la coupe afro typiquement seventies, celui-là même figurant sur la couverture. Un vague pressentiment nous saisit alors : ce type qui s’apprête à débarquer à Saint-Elme n’est certainement pas venu pour tondre la laine des moutons des alpages environnants. Le troisième tome, prévu à l’automne, promet donc de disperser sévère…

LaurentProudhon
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le 24 juin 2022

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