Pour ceux qui sembleraient interloqués par la mention de feu Hubert sur la couverture deux ans après sa mort (tout comme le livre 2 de « Ténébreuse » qui vient de paraître), précisons que cet auteur n’écrit pas ses scénarii depuis l’au-delà… Même si cela pourrait tout à fait constituer le pitch d’une belle histoire de ce conteur né ! Ce deuxième volume du « Boiseleur » a bel et bien été écrit de son vivant, hormis l’épilogue. A cet égard, et on lui en sait gré, Gaëlle Hersent s’est autorisée à conclure le livre, à partir des « grandes lignes » d’un récit déjà esquissé par Hubert, et en collaboration avec Fabien Vehlmann. Mais aussi à titre d’hommage comme elle le dit elle-même. Et nul doute que l’intéressé en aurait été ravi…


Alors que la première partie était centrée sur l’activité sur bois de notre jeune héros Illian, « L’Esprit d’atelier » nous fait pénétrer dans le monde de la sculpture de la pierre, ce qui renouvelle de façon originale ce conte plein de magie. Le grand mérite de l’histoire est de nous faire aborder la sculpture sous l’angle du merveilleux tout en initiant les plus béotiens d’entre nous (dont je fais partie) au « plus mystérieux des arts ». Illian lui-même, coutumier de la sculpture sur bois, réalise que travailler la pierre, ce n’est pas du tout la même limonade ! S’il a su faire preuve de son talent avec ses oiseaux en bois, le pauvre garçon est désormais totalement déboussolé, avouant ne rien piper aux principes de façonnage de ce matériau. Le bois, c’est tendre, mais le caillou, c’est pas chou ! L’identification au jeune artiste sera d’autant plus aisée pour les « cancres » en la matière…


Mettre en images un tel sujet n’était pas à la portée de n’importe quel dessinateur. Gaëlle Hersent se montre largement à la hauteur, très à l’aise pour représenter les formes, le mouvement et les courbes de la statuaire. Son crayon virevolte au rythme du ciseau, et certaines planches nous laissent admiratif, avec cette sensation de nous être appropriés les bases d’un art fascinant. Après ça, forcément, on ne regardera plus tout à fait les statues de la même façon… En revanche, si la colorisation est sobre, on pourra regretter, même si ça ne gâche pas l’ensemble, cette propension à utiliser les mêmes tonalités, qui voient principalement le marron converser avec le beige, l’orange ou un bleu tirant vers le gris, ce qui confère à l’ensemble une certaine monotonie.


Comme pour chacune de ses œuvres, Hubert n’a pas oublié d’être « inclusif », sans ostentation toutefois, en intégrant à l’histoire des personnages d’origine ethnique diverses et en faisant des femmes autre chose que les faire-valoir de la gent mâle. Mais ce que l’on retiendra surtout, c’est le contenu philosophique de ce conte, dans lequel les artistes « officiels », les vaniteux, qui sont souvent les mêmes, en prennent pour leur grade. L’arrogance et l’esbroufe, c’est pas le genre de la maison Hubert ! Quant au twist final qui vient ponctuer la compétition finale entre les deux ateliers desquels le timide Illian est l’un des représentants — avec un enjeu terrible, la mise au ban de l’atelier perdant ! —, il nous invite peut-être juste à être nous-mêmes, en évitant le « côté obscur » induit par un ego surdimensionné aux effets potentiellement dévastateurs… Et pour les plus romantiques d’entre nous, les auteurs n’ont bien sûr pas oublié la discrète « love story » entre Illian et Flora, sa dulcinée restée au pays qu’il croyait perdue à jamais. Mais les auteurs nous évitent le « Ils-furent-heureux-et-eurent-beaucoup-d ’enfants » en privilégiant une fin plus subtile… Avec pour seule conclusion : en art comme en amour, c’est toujours la pureté des sentiments qui prime…. Et pour le second, pas besoin de ciseau, de gouge ou de rabot…


LaurentProudhon
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le 5 nov. 2022

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