L'Odeur de la poussière chaude - Aâma, tome 1 par aaapoumbapoum
Frederik Peeters revient à son genre de prédilection : le road-trip intergalactique. Un voyage intérieur, selon l’habitude de cet auteur suisse qui s’échine à construire des récits gigognes, nourris de paraboles, de références (ici à l’œuvre littéraire de Joseph Conrad), et de cryptage inconscient, en suspension entre rêve et réalité. Aâma, en surface, conte l’errance d’un père coupé de sa fille et son ex-femme, victime d’une escroquerie, extirpé de la déchéance par un jeune frère dont la réussite professionnelle s’avère aussi mystérieuse qu’agaçante. Commence une inattendue virée, commanditée par une corporation puissante, à destination d’une lointaine colonie abandonnée, en quête d’Aâma, ce ténébreux projet scientifique qui semble avoir tourné court.
Après quelques expériences narratives ambitieuses, sans aboutissement convainquant, Frédéric Peters pourrait revenir par facilité à cette science-fiction proche de Lupus, dans lequel il excelle. Or, du côté du dessin, l’expérimentation se poursuit, avec un trait qui, pour la première fois, dévie de cette esthétique propre et figée depuis de nombreux livres pour s’orienter vers un réalisme mélancolique. L’abondance de détail entache peu la volonté d’épure graphique, et une légère forme de noblesse, sans doute inspirée par Les Pionniers de l’espérance de Lecureux et Poivet et Les naufragés du temps de Gillon, finit par inscrire le monde d’Aâma dans cette tradition de bande dessinée de science-fiction faite d’aventure et d’élégance.
Si la mesure reste nécessaire pour jauger le premier album d’une série, difficile de ne pas s’enthousiasmer pour cette introduction. Un danger qui surgit sans crier gare, une phrase qui passe de la bouche d’un robot garde du corps à celle d’une amante solitaire, et la paranoïa du lecteur s’installe. Le cœur d’Aâma promêt d'être de l’étoffe dont les rêves sont faits.
S; Bapoum pour les Inrockuptibles