La baie des cochons : pas un Spirou classique mais... moisi, sans âme si ce n'est celle pillée, plagiée sur Franquin et les autres


Extraits et chronique sur : https://branchesculture.com/2024/05/26/les-aventures-de-spirou-et-fantasio-classique-la-baie-des-cochons-lemoine-baril-elric-dupuis-cuba-castro-che-guevara-marsupilami-aventure-espionnage-franquin-tarrin/


Après le succès autant public que critique (chez Branchés Culture aussi) du Spirou chez les Soviets de Fred Neidhardt et Fabrice Tarrin, voilà le one-shot converti en une collection : Les aventures de Spirou et Fantasio - Classiques. La deuxième équipe à se mouiller, dans une baie des cochons survoltée en cette année 1961, est composée du dessinateur caméléon Elric (déjà repreneur d'Iznogoud, entre autres albums) et des quasi-inconnus Mickaël Baril et Clément Lemoine, spécialistes de Lucky Luke. Sans arriver à se séparer de l'ombre de Franquin avec une histoire resucée et grossière. Le vintage, c'était mieux avant. Et le lecteur de rêver à l'aventure cubaine avortée par Tome & Janry.



Changement total de latitude et de longitude. Après la Russie enneigée, retour sous des températures plus clémentes, d'autant plus que les esprits s'échauffent, à Cuba, pour Spirou et Fantasio. Qui ? Pas le Spirou et Fantasio de la série originelle, ni de la collection "vu par" (encore que cette nouvelle anthologie parallèle pourrait très bien être un spin-off du spin-off), mais ceux des "classiques". Soit ce que l'éditeur Dupuis identifie comme l'âge d'or. Celui de Franquin qui, après Rob-Vel et Jijé, inventa la mythologie et la bible du groom le plus célèbre du Neuvième Art. Avec ses amis, son bestiaire (le Marsu!), ses gadgets, son phrasé, sa dynamique. Puis, l'esthétique d'une maquette, pas de dos rond mais bleu avec son lettrage vertical et une quatrième de couverture grise. Le vintage à fond, dont on accommode les (excellents) restes soixante ans plus tard.



Tantôt du côté de Chaland, tantôt du côté de Bravo, s'amusant et parodiant ses aînés, Elric n'a jamais caché son intérêt pour Spirou. Il en partage des émanations et fulgurances régulièrement sur son mur Facebook. Si on lui avait dit, il y a près de 20 ans, que son rêve se réaliserait, il aurait sans aucun doute signé des deux mains. En 2024, le voilà à signer cette aventure inespérée d'une main de... Franquin et de l'autre de... Tarrin (qui a conseillé Elric sur son dessin). Dès les premières planches, et un premier attentat au cigare désamorcé par Fidel, Elric se fait fidèle à Franquin, dans le design des personnages et des décors dans lesquels ils vont se balader ou être jetés. Car, très vite, les reporters vont être pris pour des traîtres à la Revolución et le dépaysement va être total.



Bon, en bande dessinée, surtout européenne, on a l'habitude de voir des auteurs-repreneurs devoir surfer sur les codes initiés par les créateurs des héros perpétués. Astérix, Les Schtroumpfs, Alix et bien d'autres comme Lucky Luke (tiens, puisqu'on en parle, lui aussi apparaît dans cet album travesti en un autre personnage). Spirou est en fait un de ces cas à part qui ont pu s'affranchir de leur enveloppe originelle pour évoluer au fil des époques et du style, souvent tranché, de ses parrains successifs (Fournier, Chaland, Tome & Janry, Yoann et désormais Schwartz, sans parler de tous les auteurs de "vu par...").



Voilà, après Tarrin, dans une moindre mesure qui laissait tout de même parler sa particularité (comme dans les Astérix qu'il réalise), qu'Elric se force ou est forcé à faire du Franquin, sans s'en tirer aussi bien. Oh, il ne se débrouille pas trop mal, mais quand on compare avec le maître qu'il doit faire un peu plus que recopier, jamais il n'y a l'étincelle. N'en déplaise aux gardiens du temple qui attendent ce moment depuis cinquante-cinq ans (et ne se retiennent jamais de massacrer sur la place publique le travail de ceux qui tentent de nouvelles choses avec les personnages iconiques), ça ne tient pas la route. Encore moins 62 planches d'un album complètement vide et empilant les clichés. Voire les plagiats.



Bien sûr, on peut s'amuser à parodier la BD, et les séries rivales du groom-reporter, mais encore faut-il le faire de manière subtile. Ce n'est pas franchement la subtilité qui habite cet album. Visez la couverture. Elle vous rappelle quelque chose? Non, deux choses! Le célèbre cliché d'Alberto Korda immortalisant Che Guevara et qui deviendra viral (on n'utilisait pas encore cette expression à l'époque) à la mort de celui-ci. Il date de 1960, le photographe est décédé en 2001. Ça ne fait pas assez longtemps, j'ai l'impression, que pour que l'oeuvre soit tombée dans le domaine public et que le champ d'action de la propriété intellectuelle soit éteint. Deuxième élément, la couverture, le fond rouge, les personnages principaux en bas à droite dans un nuage blanc, et un personnage exotique en plus grand: c'est le concept de la couverture qu'avait donnée Franquin au 11e tome de la série-mère: Le gorille a bonne mine. Ce choix et cette mise en relation sont assez curieux, on crée une collection pour s'évader de la série phare pour y revenir avec une couverture plagiée...



Le tout en faisant référence à un autre album, le tome 14, Le prisonnier du bouddha (fond rouge aussi), dont La baie des cochons est une suite indirecte, incarnée par l'insaisissable Harold W. Longplaying et son invention, le générateur. Un petit bouton sur ce gadget révolutionnaire, le G.A.G., qui vous donne la force de Benoît Brisefer, déplaçant des montagnes. Le hic? Pas d'astérisque, pas de renvoi vers la vénérable oeuvre de Franquin (à part une allusion en quatrième de couverture), c'est comme si les auteurs s'appropriaient ce personnage, cet appareil... dont le lecteur qui aurait perdu de vue Le prisonnier du bouddha se demandera s'il n'a pas loupé un épisode? Quitte à chercher les pages manquantes dans ce nouvel album qui font que des éléments tombent comme des cheveux dans la soupe. Sans cohérence. 



Déjà, le lecteur part un peu perdu, et les auteurs le semblent aussi. Et ce n'est pas fini. De gag à plat en gag à plat (même si on sous-emploie le rebondissant Marsupilami), on dirait que cette aventure sait qu'elle court à sa perte et ne vaut pas la chandelle allumée dans les yeux des afficionados du Spirou des premières heures. Alors, elle perd du temps. Ça blablate, ça blablate, oui mais en Espagnol, oui mais en Anglais, ou en espagnolisant le franchais. Quitte à ne plus rien comprendre à ce charabia - on demande la VOST -, encore moins quand, tout d'un coup, un peu plus loin, tous les personnages semblent enfin parler la même langue. Rien n'a de sens, et c'est surtout lourdingue. 



Bon, on a parlé de ces bons vieux Longplaying et Marsupilami (ah oui, tiens, il y a Spip, en planche 20, qui se "demande quand il allait servir à quelque chose dans cette aventure", aveu d'oubli des scénaristes obligé au fourre-tout?) mais quid des autres personnages? Alors, il y a Fidel Castro et Che Guevara, plutôt bien campé dans leur idéalisme, leur grandiloquence et leur furie, puis Kennedy et, dans le reste de la galerie... on croise un Lucky Luke, une descendante de Bonnemine aux cheveux noirs, des ersatz d'Abdallah et des Dupondt. Ce n'est pas qu'ils sont cités, qu'on leur rend hommage, c'est qu'on les utilise facilement. Hop, un personnage gratuit et qui fonctionne. Tout le monde, il est là, tout le monde y fait pitié dans une histoire amenée au forceps, absolument pas passionnante, éculée, épuisante, déprimante et énervante. 



Ne vous méprenez pas, cette baie des cochons est vraiment une cochonnerie. Un album en apparence bien fait, mais sans âme puisque pillant tout l'amour qu'a mis Franquin dans cette série. C'est de loin le pire album de Spirou qu'il m'ait été donné de lire. Ce n'est pas un Spirou classique, c'est un Spirou moisi, indigeste, indigne et indigent. N'y a-t-il pas de pilote dans ce missile éditorial, ce monstre de Franquinstein?



Notons que cette collection va se poursuivre avec au moins deux tomes annoncés en 4e de couverture. Elric, Lemoine & Baril ont déjà manifestement signé pour Zorgrad tandis que Lewis Trondheim (qui a déjà goûté à du Spirou avec Panique en Atlantique) et Fabrice Tarrin (ce sera son troisième après Les géants pétrifiés et Spirou chez les Soviets, donc) signeront Le trésor de San Inferno. Je ne vous cache pas que je suis plus tenté par l'un que par l'autre.

Alexis_Seny
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le 26 mai 2024

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Alexis Seny

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