Avec La Bibliomule, Lupano et Chemineau ont réalisé un travail considérable. Les deux scénaristes/dessinateurs à travers des documentations solides permettent au lecteur de s’immerger au dixième siècle à Cordoue, ville espagnole alors régie par une dynastie ottomane, où va avoir lieu un événement terrible: un autodafé ( livres brûlés sur la place publique). De part cette circonstance, trois personnages ( Lubna, Tarid et Marwan ) vont fuir la ville avec une cargaison de livres pour une mission sauvetage du Savoir.On se dit que ce préambule est sinistre mais la situation va faire appel aux ressources des trois compères face à des situations compliquées ( avancer avec un chargement volumineux de livres, en étant affamés et en rencontrant des individus souvent hostiles).Or, la présence d’une mule obstinée mais plutôt lucide fait basculer le récit dans le comique ( de sacrées moments de rigolade notamment quand Marwan la sermonne) et le récit picaresque ( digne des aventures de Sanchez Panza et Don Quichotte) prend le pas sur la Terreur entretenue par le calife de Cordoue. Entre une cause héroïque ( motivée par Tarid ayant lui aussi une histoire contrariée), des scènes bien humaines de renoncements ou de retours de flammes, des apartés sur la valeur intrinsèque du papier, des langues et de disciplines comme la science ou la philosophie, la Bibliomule propose une pérégrination variée et le lecteur apprécie ce subtil mélange d’atmosphères le mêlant à une expérience pour comprendre les enjeux de l’Histoire tout en ne la prenant pas trop au sérieux. Lupano et Chemineau, ravis de leur travail de cinq ans, ont eu la bonne idée de faire écrire une postface par Pascal Buresi ( directeur de recherche au CNRS) pour contextualiser les personnages et l’action au cœur de leur bande dessinée. Cela permet une ouverture supplémentaire sur leur direction artistique mais aussi sur ce qu’a pu représenter l’empire Al-Andalus à son apogée. Un dernier mot sur les dernières pages de la Bibliomule où Lupano et Chemineau décident de montrer que les autodafés ont été utilisés par bêtise par toutes les civilisations.Le fait de montrer que le livre a connu de tristes périodes mais que la diffusion du savoir peut connaître d’autres périls non avenus est nécessaire et nous devons mesurer la chance de nous cultiver, d’apprendre et de pouvoir être curieux en toute connaissance de cause.