Plus qu’un rideau d’uranium s’abattant sur Hiroshima pour clôturer le chapitre de la Seconde Guerre Mondiale, La Bombe a l’ambition démesurée de son sujet : exposer le contexte, les défis de la science, les états d’âme comme les égos des scientifiques et politiques depuis les prémices de l’uranium à savoir dès la formation de la Terre.
Sous le dessin de Rongier, l’uranium présenté sous les traits d’un nuage noir, est le narrateur de sa propre histoire. Lui qui se qualifie comme étant le « créateur du néant » est à la fois manipulateur, poète et aussi exhausteur d’ambitions étatiques et personnelles. Attisant d’abord l’intérêt des scientifiques, l’uranium sera dénommé ainsi en 1789. Si Révolution française il y a en 1789, c’est à partir de 1933 et la montée du nazisme en Allemagne qu’une autre révolution émerge : Hitler souhaite accélérer les recherches d’une arme de destruction massive. Leó Szilàrd, premier personnage introduit dans ce roman graphique est juif et professeur d’université en Allemagne. Pressentant un virage mortifère en Allemagne il décide d’immigrer aux États-Unis. En 1939, s’inquiétant du danger qu’une bombe atomique puisse être dans les mains d’Hitler, il prend le parti de convaincre Roosevelt avec l’appui d’autres scientifiques dont Einstein, d’équilibrer la balance en dotant les États-Unis d’une arme similaire permettant de dissuader Hitler d’utiliser la sienne. Une fois passés les doutes du bien fondé de cette quête, une bombe à retardement aliénera les forces en présence partout dans le monde. S’ensuit alors une opération stratégique et militaire sans état d’âme. Le projet baptisé Manhattan par les Américains revêt des habits différents selon les lieux d’investigations. Dans ce cours d’histoire de 472 pages, le récit opte pour une intrigue à Los Alamos au Nouveau-Mexique où l’on suit la cohabitation délicate entre les recherches des scientifiques et la gouvernance militaire. Aux Etats-Unis, on voit également l’ignominie des répercussions d’injections d’uranium sur patients testés sans qu’ils en soient informés tandis qu’en Norvège les Américains mènent des opérations de destructions et de sabotages des sites allemands qui planchent sur la production d’eau lourde et au Congo la bataille pour l’acquisition des sites d’extraction d’uranium. Seul fait purement fictionnel, la trame narrative développée au Japon qui suit une famille dont le destin du fils embrasse celui des kamikazes.
Extrêmement documenté sans oublier d’être stimulant et passionnant, La Bombe est comparable à la fresque télévisuelle de HBO sur Chernobyl. Dans un noir et blanc aussi sublime que le sujet est sombre, le dessin de Rongier s’articule parfaitement au travail scénaristique monumental d’Alcante et Bollée qui dura cinq ans afin d’être prêt pour la commémoration des 75 ans du largage de la bombe. Ce travail monumental est à la hauteur de son sujet et si vous souhaitez vérifier la véracité de mes propos selon lesquels cette bande-dessinée est une bombe, soit lâchez ce pavé de 472 pages sur le carrelage et vous constaterez les dégâts, soit plongez-vous dans ces pages qui vous happeront !
Dans le cadre de ces commémorations, nous organisons au Cinéma Le Vox à Mayenne un ciné-rencontre le 9 août avec la projection du film de patrimoine Pluie Noire réalisé par Shōhei Imamura.
Critique imagée sur mon blog : https://lestylodetoto.wordpress.com/2020/07/06/la-bombe-projet-atomique/