La Cantine de Minuit est un Club des Divorcés coupé à l’eau du robinet et dans lequel on y aurait versé un colorant rose bonbon. Voilà pour l’introduction et peut-être même, pour la conclusion.
Je vous parle là d’un de ces colorants qui ne vous facilitent que trop le transit intestinal. Il y est question – je crois – d’un tenancier d’une modeste gargote ouverte entre minuit et sept heures du matin. La finalité de ces heures obscures, évanescente, pour le moins ? Ce serait, paraît-il, le prétexte à voir défiler une clientèle atypique, ces marginaux qui vivent la nuit, criminels interlopes, travailleurs nyctalopes et autres incorrigibles salopes. Ils sont pourtant d’un commun, ces visiteurs du soir – d’un soir tardif – venus déballer leur existence toute entière en un chapitre de temps pour y trouver à terme une conclusion heureuse.
Car la Cantine du Soir, ce ne sera que ça. Et je ne vous parle pas d’un concept creux mais qui serait bien rendu. Non, rien que la même formule en boucle, celle-ci ayant pour unique particularité d’être soporifique au possible et convenue en diable à compter du premier chapitre. On nous présente de nouveaux clients à chaque fois, ne nous laissant jamais l’occasion d’approfondir quelques réguliers que ce soit. On y trouve parfois un drame vaporeux et, toujours, en conclusion, une fin doucereuse ou tout y sera résolu. Le terme « Bittersweet » ne trouvant aucune traduction franchement idoine chez Robert Larousse, on l’attribuera d’autant plus volontiers à la recette qui nous est servie.
Les plats, peut-être sauveront l’accompagnement ? Pas même un peu. Ce qu’on y sert n’a que peu d’intérêt et pas même un semblant de valeur autre que celui qu’on pourra éventuellement faire mine de lui accorder. Le Gourmet Solitaire n’accomplissait pas grand-chose, mais on y parlait au moins de la mangeaille. Il est question ici d’une cantine dont on ne repassera pas les plats.
J’écris sur l’affaire, mais l’encre, déjà, manque à la plume. Il n’y a rien à dire pour la bonne et simple raison qu’il n’y a rien à en dire. Le contenu, pire que superficiel, est brumeux. L’auteur se donne de faux air de contemplateurs des Hommes et de leurs tracas. La Cantine de Minuit, ce serait une loupe braquée sur quelques destins uniques ? Non, ça n’est rien qu’un prétexte à ressasser les mêmes rencontres insipides qui se termineront toujours dans la joie. Que devrions-nous en faire, de ce manga ? Sourire béatement devant ses pages, heureux de la mièvrerie plate dans laquelle on y trempe les prunelles ? Il n’y a rien à contempler, rien ne nous parvient. Ni dessin, ni musique, ni odeur ; rien qu’un néant qui se donne des airs.
J’osais espérer naïvement que, ces dessins délibérément enfantins, très rudimentaires, avec de grosses têtes aux traits mal assurés, seraient pour nous le juste lubrifiant pour y faire glisser l’intrigue. Mais d’intrigue, il n’y a point, ni même quoi que ce soit s’y rapportant ne serait-ce que vainement. Alors nous ingurgitons en boucle le même digestif sans pourtant rien avoir à digérer. De quoi se rendre malade.
J’ignore ce que j’ai lu pour la bonne et simple raison que j’ignore s’il se trouva quoi que ce soit à lire. Ces personnages qui viennent et ne reparaissent jamais désertent notre mémoire aussitôt le chapitre conclu. Rien ne tient au corps dans cette Cantine, ce qui nous rentre par les yeux paraît nous traverser tant il n’y avait rien de tangible à glaner au milieu de la bouillie de bons sentiments. Voudrait-on vomir ce qu’on y a mangé qu’on ne le pourrait pas, car il n’y avait rien, absolument rien à se mettre sous la dents.
Rarement il m’arrive d’être aussi peu prolixe pour faire la recension d’une œuvre. Touiller avec le vide, je n’ai fait ça que trop de fois, mais Yarô Abe a pour lui ce mérite d’avoir poussé l’inanité de sa création jusqu’à des strates jamais atteintes. Le vide de propos, je l’ai maintes fois observé, mais ici, de propos, il n’y a pas. Il y a un creux dans le vide ; nous tenons là non pas un manga, mais un concept métaphysique venu nous révéler une nouvelle couche du néant délivré à l’état pur, mais avec du dessin dessus. Il est, quelque part, prodigieux de se dire qu’on a lu une cinquantaine de chapitres, qu’un auteur se soit senti concerné par le dessin et l’écriture, et que pas même une bribe de souvenir nous restera collée à la mémoire le lendemain. De cette composition-ci, il a fallu que j’en accouche d’une critique presque aussitôt, car je savais que j’en aurais tout oublié une demi-heure après avoir rattrapé la parution. Je crois même, âpre à pousser le vice sans cesse plus loin comme j’aime le faire, que je m’en irai multiplier les pense-bête comme dans le film Memento, cela, pour ne pas que je me retrouve à relire en boucle la Cantine de Minuit après l’avoir chaque fois oblitérée de mon esprit.
Ce commentaire que je commets n’a finalement pas une finalité strictement critique. Il est, pour moi, un témoignage ; la preuve que j’ai déjà lu, ce manga ,pour que je ne me risque pas à nouveau à l’expérience par mégarde.
De quoi parlions-nous, déjà ?