J'ai été frappée, à la relecture de cet album, par la maîtrise de la narration dès la première planche, et même dès la première case. Et pourtant, je le connais bien ! Souvent, le premier tome d'une série BD peine à démarrer ; le temps que l'histoire s'installe, ça prend des pages et des pages, voire l'album tout entier, et on expose au lecteur la situation de façon pas toujours très naturelle. Ici, première qualité : l'histoire démarre sur les chapeaux de roue, avec des phénomènes étranges qui s’insinuent dans le quotidien d'un petit village, et des images de mort dès l'ouverture : l'échouage du nestor sur la plage est en cela très réussi. Et une fois cette introduction mise en place, le scénario continue de nous tenir en haleine jusqu'au bout. Mais, seconde qualité, le lecteur est aussi très vite accroché par des petites informations distillées ça et là, au lieu d'être divulguées d'un seul coup : c'est ainsi que, lorsque Marc et son père découvrent un poisson des profondeurs, on apprend l'existence d'un "catalogue", sans savoir vraiment de quoi il s'agit. Et l'histoire de la planète Aldebaran va nous être ainsi dévoilée, par petites touches. Sans parler de l'histoire de la "créature"...
Ce qui fait aussi l'intérêt de l'album, c'est qu'il relève de nombreux registres entremêlés : science-fiction (à tendance dystopique), fantastique, épouvante, et même récit d'apprentissage. C'est d'ailleurs une série sous influence littéraire, sans qu'elle y perde son identité : il y a du Stephen King dans l’apparition d'un phénomène étrange, destructeur et épouvantable au sein d'une petite communauté tranquille. Et la mer qui se solidifie et prend la forme de petites mains pour attraper un bateau et l'engloutir a de quoi faire un peu frissonner... De plus, l'idée d'intégrer l'intrigue fantastique à l'histoire d'un adolescent ordinaire, préoccupé par un chagrin d'amour, qui va voir sa vie basculer et devoir gagner très vite en maturité, donne de la chair au récit. Mais, les lecteurs de Solaris l'auront sans doute remarqué, il y a aussi du Stanilas Lem dans l'étrange création aquatique à laquelle les personnages assistent... Ce sera sans doute plus flagrant par la suite.
Bon, tout de même, un point noir, et de taille, puisque c'est le défaut pointé constamment par les lecteurs : le dessin. Autant les cases sur la curieuse construction aquatique sont réussies (encore qu'alourdies par un texte redondant et donc inutile), autant les personnages ont un peu l'air d'enfants Kinder ou de poupées Barbie. Les expressions et les gestes sont régulièrement figés : ça a été dit mille fois, mais il est impossible de laisser ça sous silence dans une critique. Pour ma part, ça n'a jamais vraiment dérangé ma lecture de la série. Mais tout de même... Et puis la colorisation manque de nuances, les couleurs son trop saturées, ce qui en rajoute une couche. Du coup, on peut se demander si Aldebaran va bien vieillir ou pas. Ce n'est pas franchement une série qui date, elle n'a que vingt ans, mais le dessin lui donne un côté vintage assez curieux...
Donc, un récit impeccable, avec une très bonne mise en place de l'histoire, mais qui aurait sans doute gagné en intensité si le dessin avait été plus subtil. On se retrouve bien sûr pour le tome 2.