La Comète de Carthage - Les Aventures de Freddy Lombard, tome 3 par Alligator

Ah l’univers onirique à nulle autre pareille d’Yves Chaland ! C’est toute ma fin d’adolescence ! Il est sans doute un de ces chaînons, non manquants mais très marquants, qui relient ma culture bédé d’enfance, l’école belge d’Hergé, de Franquin et une autre plus adulte de l’Echo des savanes notamment. Il doit sûrement se trouver dans un entre-deux.


Il a gardé quelques caractéristiques de style traditionnel, une ligne encore claire. Son dessin baigne dans une France des Trente Glorieuses dont il garde quelques codes.


Bien sûr, le récit part volontiers dans des directions surprenantes qui n’ont que peu à voir avec la bédé de papa, ce que nous rappelle très souvent au cours de la lecture l’excentricité des bédés d’Yves Chaland.


A l’évocation de ce grand nom de la bédé française, tout de go, le terme “surprise” clignote dans ma tête. Il en est l’une des illustrations artistiques les plus manifestes. Ses nombreuses ellipses, ainsi que les tournures souvent très bizarres que prennent les dialogues sont tellement étranges qu’elles peuvent heurter la lecture. Quelquefois l’on est obligé de s’arrêter pour relire tellement le récit déroute. Et ô miracle, on en est heureux : on suit un fil surprenant, parfois décontenancé, mais l’on n’en est pas non plus meurtri. Au contraire, l’attention maintenue aux aguets, on espère encore quelque croche-patte, du moins des aspérités. Jamais l’on est assoupi sur un récit ordinaire, bien qu’il veuille s’en donner l’air.


L’histoire alambiquée à souhait offre de très beaux moments d’une poésie rare en bédé. Mais on profite également de la grâce naturelle aussi bien que d’une violence des sentiments, de la passion, ce qui pourrait sembler classique a priori, mais qui au final ne ressemble à rien d’autre que l’univers fantasmagorique d’Yves Chaland : tanguant perpétuellement entre réalisme et tradition d’un côté, subversion et lyrisme poétique de l’autre, dans un va-et-vient inconfortable mais salutaire. A la toute fin de l’album, quand on a fini de recoller tous les morceaux, on est saisi par la maestria du scénario.


Et puis restent en mémoire quelques images, superbes, des cadrages, des couleurs, ce trait saillant, acéré, vif, mordant et tellement élégant, tellement eighties en fait.


J’adore Chaland également pour son humour, même s’il n’est pas essentiel ici. Il permet lui aussi d’échapper à une routine éventuelle. Il est souvent tranchant. Surtout, à d’autres moments, il est presque enfantin cet humour. Lui aussi il détonne.


Au final, on ne peut guère s’appuyer sur quelque chose de tangible, d’un tant soit peu rassurant : la surprise est partout, elle surgit, explose. Mais cela ne se fait jamais au détriment de l’histoire, ni de l’atmosphère générale.


Au contraire, La comète de Carthage paraît se nourrir de toutes ces incertitudes qui planent sur les personnages. Une ambiance poisseuse s’installe progressivement. Un danger mal défini, une violence sourde : tout commande à créer un mystère permanent et fascinant.


J’aime beaucoup Yves Chaland quand il se focalise sur un humour potache et léger, comme dans “Adolphus Claar” mais je l’aime tout autant quand il s’essaie sur des tons plus lugubres, avec un récit qui danse sur une tragédie tout proche d’éclater avec La comète de Carthage.


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Alligator
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le 11 déc. 2018

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Alligator

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