L'excellent est déjà là, mais le meilleur rode encore devant le seuil...
J'en avais déjà un peu parlé au premier volume, qui posait cet univers singulier, en rupture avec le monde du comics en général, plus de l'ordre de la fable (d'ailleurs, une des seules séries à donner ce sentiment de césure avec l'univers pourtant riche du comics est justement Fables, qu'on ne présente plus), tout en restant ancrée dans un monde qui nous est contemporain, familier, de par des personnages entiers, touchants, fissurés, auxquels on peut s'identifier ou pas, mais qui ont cette force de caractère digne des créations des vrais auteurs.
Et Joe Hill confirme au fil de la série ses talents de narrateurs, son amour pour le mystérieux, sa relation ambivalente avec le monde de l'enfance, entre magie et frayeur, via le personnage du petit frère Bode.
Tour à tour triviale, épique, cruelle, belle, cette série tient toutes les promesses annoncées discrètement, en filigrane, dans le premier volume.
Le titre ne ment pas. L'histoire tourne autour de clés, des clés magiques aux pouvoirs spécifiques et souvent étonnants, tombant souvent dans les mains du turbulent Bode. Le drame du premier volume est lui aussi centré autour d'une clé. Le cadre de l'aventure, la gigantesque demeure, se nomme Keyhouse. Redondant ? Même pas! Car Joe Hill sait danser avec les notions de passage, d'enfermement, et chaque clé dénichée est une nouvelle source d'émerveillement pour le lecteur, d'appréhension. Car l'Ennemi rôde, et si chaque clé est pratique, il en est une, dont le pouvoir est inconnu, pour laquelle il est prêt à tuer, la Clé Noire, la Clé Omega.
Non content de nous offrir un univers qui se suffit en soi, Joe Hill nous gratifie d'un ennemi comme on n'en rencontre que peu, qui lui même s'affine au grès de la palpitante aventure, ne se contentant pas simplement d'être le bellâtre machiavélique qu'il aurait pu devenir en d'autres mains. Lui aussi a ses faiblesses, en permanence dans la prise de risques, sur le fil du rasoir, en quête d'un artefact qui lui est indispensable, mû par une volonté aux relents de désespoir, oscillant entre un sens de l'honneur étrange et systématiquement déviant et intéressé, mais néanmoins présent, et une cruauté gratuite, presque innocente, sans pour autant ne pas être sadique. L'Ennemi est d'une nature indéfinissable, et y coller le mot "démon" aurait quelque chose de réducteur, tant son personnage, comme celui des autres, est entier, irréductible à un archétype quelconque.
Les personnages vivent. C'est suffisamment rare pour le noter. Et la demeure à cet égard n'est pas en reste, avec une histoire dense et une architecture qui ne dépareillerait pas dans un film de Dario Argento fin 70's, entre l'ultime terrain de jeu, le grenier mi redouté mi fantasmé qu'on trouve parfois dans les vieilles demeures familiales, étendu ici à l'échelle d'un manoir labyrinthique où tout est possible, de plus en plus littéralement à mesure que l'histoire avance, et la maison hantée.
Je l'avais déjà annoncé au premier volume, tout va en s'améliorant, et les deux prochains volumes se hissent vers des sommets qui font basculer cette série de l'excellence à l'indispensable.
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