La course du rat
7.3
La course du rat

BD franco-belge de Gérard Lauzier (1978)

Lire la Course du rat en 2019, c’est retrouver deux traditions : les comédies noires du cinéma français des années 1970-1980, généralement avec Depardieu (les Valseuses, Tenue de soirée, etc.) et la B.D. alternative française des années 1970-1980, sur laquelle son caractère plus ou moins artisanal faisait quoi qu’on en dise souffler un vent de liberté. (Tout ceci a vieilli, certes, mais pas forcément mal – et sans doute pas plus mal que ne vieillira le trois-cent-soixante-douzième d’heroic fantasy des Éditions Soleil, et d’une manière générale le travail de ces dessinateurs et de ces scénaristes qui ressemblent à des logiciels de dessin ou de scénario.)
Dans la Course du rat, un cadre à la Défense – belle voiture, épouse présentable, enfants blonds, etc. –, représentant parfait de cette classe de consommateurs dont Perec parlait déjà dans les Choses, croise par hasard un camarade de lycée devenu acteur et qui m’a paru fort inspiré de Philippe Léotard – femmes, fête, etc. À partir de là, notre pseudo-héros naviguera de soirées chez Castel en humiliations, d’initiations à un monde qui n’est pas le sien en retours de flamme sexuels et créatifs – le malheureux se prend pour un romancier !
Le tout baigne dans une incroyable médiocrité, non pas dans le sens où l’album serait médiocre, mais dans celui où tous les personnages, hommes et femmes, se révèlent d’une médiocrité abyssale, dissimulée dans le meilleur des cas sous un vernis de brio. À quelque milieu qu’il appartienne, chacun n’est que le fruit de son goût pour le fric, la baise et la considération sociale, et nul ne vaut mieux qu’un rat – d’où le titre, d’où ces dialogues pleins de cruauté quand ils sont sincères, pleins de faux-semblants dans les autres cas.


Raconté comme ça, l’album aurait dû beaucoup me plaire. Le premier hic, c’est que les vingt premières pages suffisent à faire comprendre tout cela, les quarante qui suivent n’étant que des confirmations. Un peu comme dans Zola : ça commence à dégringoler, et le lecteur comprend tôt que ça dégringolera jusqu’à la fin.
Le second problème, c’est le dessin. Que le trait soit techniquement pauvre, que la mise en couleurs favorise ces tons criards très 1975, ça n’aurait pas dû me gêner – je n’ai rien contre Lewis Trondheim et je préfère lire l’Incal dans sa version d’origine plutôt que recolorisée ; et puis j’avais un ami en terminale qui dessinait comme ça. Mais Lauzier semble ne connaître qu’un seul type de cadrage : le plan serré, qu’un seul type de mise en page : les quatre bandes par planche, et à la longue ça coupe la respiration.
J’imagine que ces deux aspects sont des choix délibérés (?), mais je crois que l’album n’aurait rien perdu à montrer un peu plus de variété.

Alcofribas
6
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le 23 déc. 2019

Critique lue 239 fois

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