Critique et extraits: https://branchesculture.wordpress.com/2015/09/09/la-dame-de-damas-jean-pierre-filiu-cyrille-pomes-critique/
Par les temps qui courent, de haine, de discours de comptoirs et de répulsion face à ces réfugiés de guerre qu’on a tôt fait de qualifier de « migrants »; il y a des ouvrages qui font forcément du bien. La dame de Damas signé Jean-Pierre Filiu (spécialiste de l’Islam Contemporain et professeur à Sciences Po Paris) et Cyrille Pomès en fait assurément partie dans sa description fictionnelle mais tellement âpre et véridique de l’enfer syrien avant menant à l’exode actuel.
« Bachar, Bachar, Bachar » Nous sommes le 16 novembre 2010, jour du quarantième anniversaire de la prise du pouvoir par Hafez Al-Assad, auquel a succédé son fils, Bachar. Un jour de fête bien encadré par des gorilles, agents de sécurité ou plutôt d’insécurité destiné à faire régner ordre et paix, peux aussi. Si dans la boutique familiale à Daraya (dans la banlieue de Damas), les visages rayonnent, en-dedans les mines sont graves. Peuple condamné à ne rien dire, les Syriens n’en demeurent pas moins avec une colère qui gronde de plus en plus. Entre les rafles, les tortures et la manipulation ambiante, Karim veut s’en sortir, de plus en plus.
Le goût de la liberté donné par la révolte égyptienne, n’en finit plus de grandir. D’autant plus que Karim a perdu son amour, Fatima, désormais épouse d’un homme qu’elle n’aime pas, que personne n’aime d’ailleurs: Bassel, faux-docteur mais vrai fidèle de l’ophtalmo devenu « Lion » dictateur. Et alors que la résistance s’organise, Karim peut compter sur l’aide de son frère, ancien militaire du régime passé du côté de l’ASL (Armée Syrienne Libre), pour contrer (bien inégalement) les forces du régime. Mais rien n’est gagné.
En cent pages, Jean-Pierre Filiu et Cyrille Pomès (déjà auteurs de Le printemps des Arabes et Le Jour où…, chez Futuropolis également) parviennent brillamment à retracer, par la lucarne de la fiction (« plus réaliste, tu meurs ») documentaire, quatre années d’escalade guerrière et d’horreur. La Dame de Damas, c’est une immersion bienvenue dans le quotidien de peur et de poussière d’une « jeunesse sacrifiée » amenée à l’époque d’un changement obligatoire pour survivre. Un changement, une bataille qui n’est pas aidée, encore moins par l’attitude des occidentaux et de l’ONU qui reçoivent des images et des témoignages scandaleux des rebelles, mais ne les diffusent pas faute de pouvoir les « authentifier ». Puis il y a l’arrivée des gaz toxiques et mortels.
Découpé comme un thriller, sans concession ni répit, la Dame de Damas est sans happy end et éveille un peu plus les consciences en ces temps critiques où l’Europe représente l’espoir du meilleur pour des gens qui fuient leur pays et le pire. Voilà l’ouvrage, entre tous les autres, qu’on vous appelle – non, qu’on vous exhorte – à lire pour vous rendre un tout petit peu compte et comprendre le quotidien intenable vécu par les Syriens qui aujourd’hui risquent leur vie pour rallier les frontières. Puissent les sots y jeter un œil, le lire avant d’hurler à tout-va des discours de haine et des fausses informations infondées sur les réseaux sociaux. Ces Syriens qui arrivent sont juste en quête des mêmes choses que nous, du goût d’une certaine tranquillité et fuient une guerre meurtrière qui les a rendus migrants, comme l’étaient certains de nos (grands-)parents, il y a un peu plus de 70 ans! Et dans ce contexte, on ne peut que comprendre que ces hommes, femmes et enfants quittent cet enfer à ciel ouvert en espérant trouver mieux que de l’abject dans nos pays.