Quel étrange parcours que celui de Minetaro Mochizuki.
De Bataashi Kingyo, son premier manga en 1984 (une oeuvre humoristique à grand succès totalement inconnue de par chez nous) à Tokyo Kaido et l'apaisé Chiisakobé, en passant par la fresque monstrueuse (son chef d'oeuvre ?), Dragon Head, on ne peut pas dire que le bonhomme soit identifiable. Mélangeant les genres sans problème, humour sur Bataashi Kingyo, horreur et fantastique sur Dragon Head, aventure sur Maiwai, critique sociale intimiste sur Chiisakobé, il s'arrête sur le drame psychologique inquiétant avec une pincée de thriller sur La dame de la chambre close (un titre à la Agatha Christie ou plutôt Gaston Leroux qui ne sied guère à ce manga en fin de compte). Il y a même un petit aspect fantastique de frôlé (la dernière page et une scène au milieu) sans que cela n'impacte trop sur l'aspect réaliste et inquiétant de l'histoire.
Et voilà sans doute ce qui gêne et empêche d'adhérer probablement à fond comme on l'espérerait. On reste trop souvent ancré au réel sans que la peur ne nous envahisse à fond alors que pourtant toutes les situations ne demandent que ça, à commencer par l'intrigue principalement : une histoire de harcèlement inversée. Ici c'est une femme comme sortie d'un folklore étrange (longs cheveux noirs à la Sadako, figure réactualisée du fantôme féminin qui n'arrivera que quelques années plus tard en 1998 avec Ring) qui va harceler à la folie un jeune étudiant qui a eu le malheur de lui ouvrir sa porte. Pas d'explications, et c'est tant mieux, on comprend d'emblée avec un certain sens du malaise que celle-ci, totalement dégénérée, ira jusqu'au bout de sa folie, quitte à faire très mal.
Alors que c'est juste sa seconde oeuvre, Mochizuki fait déjà preuve d'une certaine maîtrise, égarant le lecteur et son héros dans un jeu de fausses pistes qui ne sera jamais vraiment élucidé, l'important est ailleurs : dans cette course pour la survie de son jeune héros. Un héros ressemblant étonnemment à celui de Dragon Head deux ans plus tard, tiens. Cependant le potentiel quasi cinématographique du manga ne sera jamais vraiment atteint. L'auteur coupe presque volontairement toute montée en puissance et s'en tient parfois à des banalités, comme si l'histoire en elle-même l'effrayait.
Comparé à sa fresque magistrale Dragon Head où il ne s'imposera dès lors presque plus aucune limite dans la terreur, et ce, sans jamais faire baisser la tension, La dame de la chambre close semble presque un galop d'essai, une oeuvre curieuse mais néanmoins intéressante où expérimenter avant de faire le grand saut.