Le La était donné par maître Yoda à la fin de Star Wars Épisode II : L'Attaque des Clones. Fini de rire. Les jedi ne sont plus les gardiens de la paix, ils sont désormais les généraux de la Grande Armée de la République. Republic, tel est d'ailleurs le nouveau titre de la série de comics Star Wars de Dark Horse ; le titre francophone exprime plus explicitement toute l'ambition du plan : narrer la fameuse guerre évoquée dès 1977 par Obi-Wan Kenobi, et ainsi faire le lien avec le prochain film…
Ce plan de trois ans commence par ce tome 1, La Défense de Kamino… tout en ne commençant pas exactement sur Kamino. Maître Tholme, désormais borgne, boiteux et balafré, est à la tête du service de renseignement de l'ordre jedi, secondé par son ex-apprenti Quinlan Vos. Or, ce dernier a eu vent d'une piste concernant la contre-attaque séparatiste à venir… avant de disparaître sur une station spatiale appelée la Roue. Tholme charge sa deuxième ancienne apprentie, Aayla Secura, de retrouver Vos et les informations sur l'offensive ennemie.
On a l'impression que cette fois, John Ostrander est allé chercher l'inspiration du côté de chez Tom Clancy ! En tout cas, ce premier chapitre intitulé Sacrifice est fantastique de A à Z. L'ambiance est encore plus poisseuse que dans le tome 2 de Jedi, l'histoire simple mais intrigante, et les personnages au sommet de leur forme, Quinlan Vos en tête. Graphiquement tout d'abord, il n'a jamais eu autant d'allure, ayant troqué sa robe de jedi et son sabre laser contre une armure de gardien kiffar et un blaster Westar-34 (même modèle que feu Jango Fett), condition essentielle à sa couverture. Son humeur est également plus ténébreuse que lorsque nous l'avions quitté à la fin de Rite de Passage ; il faut dire qu'il se sent coupable de n'avoir pu anticiper, via ses réseaux, la catastrophe de Géonosis qui a couté la vie à près de 200 jedi. Aayla, l'une des rares rescapées de l'affrontement, se fait comme toujours son roc. La dynamique est toujours la même entre ces deux-là, pour notre plus grand plaisir.
Deux nouveaux venus se sont joints à l'équipe : un Chadra-Fan roublard appelé Tookarti (encore un patronyme d'enfer!) et une jeune femme aux cheveux magenta et à la tenue… suggestive, Khaleen Hentz. Cette dernière est une chapardeuse et la meilleure agente du réseau Vos. Elle en pince également pour son patron, le ténébreux "Korto" comme elle l'appelle (joli hommage à Hugo Pratt), qui n'hésite pas à manipuler ses sentiments pour l'envoyer sur des missions dangereuses, au grand désarroi de l'honorable Aayla. Cette "zone grise" donne lieu à la meilleure séquence de l'album, lorsque Khaleen doit rendre le disque contenant les informations à l'agent séparatiste sur place, un Faleen dont les phéromones lui permettent de manipuler Khaleen et de la pousser au suicide. Tout cela est délicieusement glauque et sexy tout à la fois… heureusement, Quin et Aayla finissent par intervenir et tuer le Faleen.
Sacrifice se termine sur un twist typiquement ostranderien, où il est révélé que Tookarti travaille comme agent double pour le Comte Dooku et Dark Sidious. Ces derniers ont délibérément saboté la contre-offensive des droïdes pour décrédibiliser les adversaires du Comte au sein du conseil séparatiste.
Quelle entrée en matière ! J'adore absolument tout dans cette petite introduction, et vous n'avez pas idée à quel point je déplore que le dénommé Joe Wayne, coloriste de son état, n'ait pas travaillé davantage avec Jan Duursema. Sa palette jaune-verdâtre se mariait parfaitement à son dessin, comme un juste milieu parfait entre Dave McCaig et Brad Anderson. Sacrifice a un goût unique, sale mais terriblement attrayant, que nous ne retrouverons plus jamais, malgré les beaux efforts d'Anderson.
Enfin bref, il est temps de passer au chapitre central, qui justifie le titre de l'album, puis vous l'aurez compris, la planète Kamino est donc l'objectif de la fameuse attaque-surprise de la Confédération. Logique, puisque comme l'Épisode II l'a montré, il s'agit du monde d'origine des clones de Jango Fett, colonne vertébrale de l'effort militaire républicain. Si les laboratoires de clonage sont détruits, la Grande Armée de la République mourra à petit feu, tel est le calcul des stratèges séparatistes.
Une petite force de jedi est donc envoyée sur place, commandée par Obi-Wan Kenobi. C'est donc l'occasion de faire le point sur les relations entre ce dernier et son apprenti manchot et jeune marié, Anakin Skywalker. Le moins qu'on puisse dire, c'est que le traumatisme de Géonosis n'a pas rapproché le duo infernal, bien au contraire, Anakin étant plus taciturne et impatient que jamais. Obi-Wan se confie à son vieil ami Quinlan Vos via hologramme, et le Kiffar, dont le caractère est proche de celui de "l’Élu", recommande à Kenobi de lui faire plus confiance, de moins le materner. C'est une très jolie scène, de même que celle, en effet-miroir, entre Anakin et Aayla Secura.
Le reste de la bataille de Kamino est malheureusement… bof, quoi. La première partie raconte la bataille aérienne, à l'issue de laquelles les chasseurs Delta-7 d'Obi et Ani sont descendus, ce qui les oblige à rejoindre les labos envahis par l'armée droïde. Le dessinateur Stephen Tompson prend le relais pour cette partie, et je ne suis pas fan de son dessin trop statique et peu élégant. Les soldats ARC, commandos clones d'élite, bénéficient cependant d'une introduction badass au possible. Le dernier chapitre de la défense est consacré à un amiral Mon Calamari séparatiste, Merai, dont la brillante stratégie est avortée par Sidious, ce qui lui coûte la vie. Le dessinateur Tomas Giorello est cette fois en charge. Son trait plus musclé et "marvelien" me convient davantage, mais l'histoire est trop courte pour vraiment s'y investir. Dommage.
Exit Kamino, et Jan Duursema reprend les manettes, cette fois assisté de Brad Anderson. Trois mois se sont écoulés, et la guerre a déjà coûté la vie à de jedi… c'est pourquoi Quinlan Vos et Tholme apprennent à Yoda et Mace Windu qu'un "schisme" est en train de se créer au sein de l'ordre, d'où le titre de ce dernier chapitre. Après une sympathique séance d'entraînement avec Vos, dans laquelle il est une nouvelle fois révélée que le jedi aux dreadlocks flirte dangereusement avec le côté obscur de la Force, Windu décide de se rendre sur la lune de Ruul pour y rencontrer les leaders du schisme, en têtes desquels son vieil ami Sora Rulq, maître d'armes de l'ordre et co-créateur avec lui du "Vaapad", la VIIème forme de combat au sabre-laser et la plus dangereuse.
Bulq est un vieux Weequay calme et philosophe, extrêmement respecté au sein de l'ordre, mais profondément marqué par les horreurs de Géonosis où il a failli être tué et a vu tant de ses anciens élèves ne pas avoir autant de chance que lui. Ostrander a d'ailleurs l'intelligence de donner des motifs différents à chacun des meneurs du schisme : K'kruhk, massif Whipid au cœur tendre, se sent ainsi coupable de la destruction de sa division de soldats clones ; Jeisel, Dévaronienne badass et toute de cuir vêtue, estime que la guerre est opposée aux principes mêmes de l'ordre. Mira, ancienne padawan de Bulq, souhaite que la diplomatie l'emporte et que le dialogue reprenne avec les Séparatistes pour tenter de comprendre leurs motifs. Quant à Rhad Tarn… c'est juste un imbécile qui veut que l'ordre soutienne Dooku parce qu'il considère la République irrémédiablement corrompue. Windu engage patiemment le dialogue avec chacun d'entre eux, mais le sage Sora Bulq lui demande du temps pour qu'ils réfléchissent à ses paroles.
Mace Windu n'est cependant pas le seul à avoir fait le déplacement sur Ruul : Schisme marque ainsi l'arrivée en fanfare d'une des plus grandes méchantes de SW, Asajj Ventress. Inspirée par un dessin conceptuel de l'Épisode II, Ventress est une femme rattataki chauve et sexy au possible, armée de deux sabres lasers à garde incurvée, qui est devenue l'apprentie du Comte Dooku après la mort de son maître jedi, Ky Narec. Aussi dangereuse que complexe, elle serait appelée à une belle carrière aussi bien dans le Legends que dans l'actuel Canon via son apparition dans le dessin animé Clone Wars de Tartakovsky, son successeur The Clone Wars de Filoni et de nombreux romancs et comics en tous genres, mais peu se souviennent que sa toute première apparition date de ce court récit consacré à Mace Windu.
Ventress est bien sûr dépêchée par Dooku pour faire capoter les négociations. La pauvre Mira est sa première victime, avant que la Rattataki ne montre que sa langue est aussi dangereuse que ses sabres lasers en laissant entendre qu'elle est au service de Windu. Évidemment, ce crétin de Rhad Tarn la croit – si vous le permettez, je vais m'appesantir un peu sur ce personnage tout bonnement catastrophique, seul point négatif d'une histoire au demeurant formidable : non seulement ses motivations et son impulsivité démontrent son peu d'intelligence, mais il est vêtu exactement comme Anakin Skywalker et a presque la même tête que lui ! Seule sa coiffure – ridicule – diffère. Aussi bien Ostrander que Duursema ne se sont vraiment pas foulés sur ce personnage…
Évidemment. Ventress n'a aucun mal à le retourner de son côté, avant que Jeisel ne vienne mettre fin à cette farce en tranchant sa tête de con. J'avais déjà un coup de cœur pour Jeisel, jedi la plus psychologiquement et graphiquement intéressante du lot, mais à présent je veux carrément l'épouser. Mais elle et K'kruhk ont beaucoup plus de mal face à Ventress… il faut dire que Mace Windu a entretemps fait une terrible découverte : Sora Bulq, le sage Sora Bulq, est passé du côté obscur de la Force, c'est lui l'allié de Ventress sur place. Un duel sans merci s'engage entre deux des meilleurs bretteurs de l'ordre, mais Windu y met fin pour aller secourir ses camarades. Les trois jedi s'enfuient, et K'kruhk, choqué par la bassesse de Bulq, décide de réintégrer l'ordre. Jeisel souhaite conserver sa neutralité, ce que respecte Windu. "Nous sommes tous des jedi', déclare-t-il en guise de fin.
Le personnage de Mace Windu n'a pas toujours été gâté par les films dans lesquels il est apparu, mais ce Schisme nous permet d'en découvrir davantage sur l'homme derrière le masque stoïque ! À cet égard, ce petit récit constitue une excellente introduction à l'un des tout meilleurs romans SW, Point de Rupture de Matthew Stover, consacré à Windu lui aussi. Mais même indépendamment de quoique ce soit d'autre, Schisme montre bien la complexité des jedi, leurs contradiction et leur humanité, thèmes que les Épisodes II et III n'ont fait qu'effleurer. Si seulement il n'y avait pas Rhad Tarn… ai-je précisé que c'est un imbécile ?