Rasl en aout...poum poum tcha!
Jeff Smith est un auteur talentueux à plus d’un titre, scénariste, dessinateur, animateur, il s’est construit une réputation dans le terrible, et parfois ingrat, monde du Comics américain, à la seule force de son poignet (si j’ose dire) et de sa volonté. Il est un exemple trop rare de la réussite complète d’une autoédition avec sa série phare Bone (multi-récompensée), un mélange habile et intelligent de Fantasy et de contes. Il a également travaillé le temps d’une série sur le personnage de Shazam, le mortel le plus puissant de la Terre (Capitaine Marvel) redonnant au personnage son innocence et son univers parfois léger, bigarré et un peu loufoque qu’il avait à ses origines dans les années 40.
Jeff Smith pourrait ainsi apparaître comme un auteur plutôt habité par des univers et des personnages « mignons », des histoires certes intéressantes et drôles, mais sans véritable sérieux non plus…
RASL sa nouvelle série en est un contre-exemple plutôt maitrisé. Nouvelle série (prévue en trois volumes) résolument orienté SF/Aventure, l’histoire met en scène Rasl, un voleur qui fait des sauts dimensionnels, ce qu’il appelle la Dérive, grâce à un appareil de sa conception (ex-ingénieur militaire Rasl aurait réussi à récupérer puis décrypter les journaux perdu de Nicholas Tesla). La Dérive lui permet ainsi de sauter d’univers parallèle en univers parallèle, afin d’y dérober des œuvres d’art pour ensuite les revendre. Dans ces mondes s’il croise souvent des visages qui lui sont familiers, des alter-égo de ses amis, il n’a pourtant jamais croisé de double dimensionnel, et chaque nouvelle réalité possède en fait son lot de minuscules différences rendant le succès de leur exploration plutôt aléatoire. En plus chaque « saut » semble laisser des séquelles physiques à Rasl, des douleurs difficilement soutenables autrement qu’en trouvant refuge dans la boisson et le sexe. Enfin il est aussi suivi, par un énigmatique individu en imper noir, au visage reptilien (moi j’y ai vu le visage d’un Martin Landau très inquiétant…) pour le compte du gouvernement.
Pourquoi le poursuivre, quel passé trouble a amené Rasl sur le chemin d’une vie dissolue et dangereuse, dans les marges. Pourquoi le nom de Maya est-il tatoué sur son épaule et quel est le rapport avec son passé ? Comment un ingénieur militaire a-t-il pu devenir un fugitif quantique ? Autant de questions que l’intrigue de ce premier volume soulève.
RASL est un comics intriguant et attrayant. Déjà parce qu’il ouvre deux de ses chapitres sur des citations attribuées à Nicholas Tesla, l’un des plus brillant inventeur et génie du XIXè siècle, concurrent malchanceux de Thomas Edison dans la course au système électrique (courant continu ou alternatif). Cet homme aux 1000 brevets a beaucoup travaillé sur l’électromagnétisme, et était extrêmement en avance sur son temps et ses pairs scientifiques (bien qu’il ait fini sa vie dans la pauvreté et l’anonymat). Il a entre-autre prophétisé l’énergie gratuite, les armes à faisceaux dirigés, ou les bateaux lance-torpilles télécommandés par ondes radio (autant dire un sous-marin). Perfectionniste, obstiné, en avance sur son temps, non conformiste, et brimé…il n’en fallait pas plus pour que l’imagination populaire s’empare du personnage, de ses inventions, en face un prophète muselé et crie à la théorie du complot quant à la non utilisation de l’énergie libre. Bref un personnage idéal pour servir de terreau à l’histoire de RASL, et offrir un cadre pseudo-scientifique ouvert et palpitant.
Côté dessin on perd un peu ce trait à mi-chemin entre Disney et Uderzo qui conférait une bonne partie du « mignon » et du charisme de Bone ou de son travail sur Shazam. Ici il est moins rond, plus rugueux, plus. Le dessin imprime ainsi très efficacement cette ambiance de thriller violent et survolté, sur fond de course-poursuite quantique, de passé mystérieux, et de personnages ambigus.
Un premier volume prometteur qui m’a mis l’eau à la bouche.