Depuis quelques années, Jean-Marc Rochette a fait son retour en bande-dessinée. Un retour remarqué par la reprise de sa saga du Transperceneige, mais également par d’autres livres plus personnels. « La dernière reine » est à mettre à côté de « Le loup » et « Ailefroide, altitude 3954 ». Si ces trois bouquins sont très différents dans leurs scénarios (« Ailefroide » étant autobiographique notamment), ils traitent tous du rapport de l’homme avec la montagne. Ainsi, « La dernière reine » parle bien des ours, mais n’est pas du tout un resucé du « Loup ». Le tout est publié chez Casterman pour 230 pages de lecture.
« La dernière reine » commence de façon originale avec des scènes issues de période différentes. On remonte même plusieurs dizaines de milliers d’années en arrière. Si le procédé surprend, l’histoire va vite se stabiliser au début du vingtième siècle, après la première guerre mondiale. Il n’est pas évident de pitcher le livre tant plusieurs thèmes s’y imbriquent. Il y a d’abord Edouard Roux, enfant, dont on accuse la mère de copuler avec les ours et les loups. Puis Edouard Roux, adulte, gueule cassée, qui se fait refaire un visage par une artiste. Et enfin, en arrière-plan, les ours, la nature et l’humain qui détruit tout.
Le livre est clairement un ouvrage personnel de l’auteur. On retrouve de nombreux éléments de sa vie : la gueule cassée, la vie dans les montagnes, l’amour de Soutine… Il utilise ses obsessions pour créer une œuvre de fiction d’une grande beauté désespérée. Si les ouvrages sur l’homme et la nature ont pullulé ces dernières années avec la menace du réchauffement climatique, Rochette a un discours peut-être plus vrai, qui m’a davantage touché en tout cas. On n’est pas sur une plainte d’un citadin qui voudrait de la campagne, on est sur un homme qui connaît la nature perdue, les montagnes où personne ne met les pieds à part les brebis. Et les discours de son personnage, jamais pompeux, vont droit au cœur.
Si « Le loup » était consacré exclusivement à ce prédateur et à son rapport à l’homme, « La dernière reine » n’est pas dans cette veine-là. L’ours est utilisé avant tout comme exemple de la destruction de la nature par l’homme. Sa disparition est un annonciateur d’une fin à venir.
Mais « La dernière reine » ne traite pas uniquement de la nature. Rochette y ajoute le milieu de l’art avec le personnage de la sculptrice. Il parle du Montmartre de l’époque. Cela ajoute à l’ouvrage et donne un suspense, une envie d’aller plus loin, avant d’arriver au dénouement.
Au niveau du dessin, Rochette utilise son trait épais et charbonneux. Ses couleurs sont sombres également et conviennent parfaitement au discours pessimiste et mélancolique du livre. C’est beau, reconnaissable entre mille, l’œuvre de quelqu’un qui a beaucoup peint en plus de dessiner. Je suis un grand fan de ses dessins, même s’il faut avouer que ses personnages ne sont pas toujours très expressifs (on excusera Edouard Roux qui porte un masque !). Cependant, cela fonctionne et les émotions transpercent le lecteur.
« La dernière reine » est un ouvrage qui semble partir dans tous les sens. L’intrigue au départ n’est pas très claire et se développe peu à peu. Les multiples temporalités donnent du sens à l’ensemble jusqu’à ce dénouement bouleversant. Rochette produit des œuvres d’une grande force évocatrice ces derniers temps. Il possède une sensibilité et des discours que l’on ne retrouve nulle part ailleurs. Bravo l’artiste !