Attention, gros coup de cœur. "La dernière reine" est un hymne à la nature puissant et émouvant, qui s’impose d’ores et déjà comme l’une des meilleures BD sorties en 2022. Ce roman graphique ambitieux de plus de 230 pages est signé par Jean-Marc Rochette, le dessinateur du mythique "Transperceneige". Parue pour la première fois dans le magazine "A suivre" en 1982, cette BD post-apocalyptique sur une lutte des classes à bord d’un gigantesque train a inspiré bien des années plus tard le réalisateur sud-coréen Bong Joon Ho pour le film puis la série télévisée "Snowpiercer". De quoi donner envie à Rochette de revenir à la BD après une longue traversée du désert. Comme il nous l’avait l’expliqué dans une interview réalisée en 2019, il avait en effet arrêté la bande dessinée pendant sept ans pour se consacrer à la peinture. Mais depuis quelques années, celui qui habite désormais de manière isolée dans le Massif des Ecrins a retrouvé le succès en parlant de sa passion pour les montagnes. Il y a d’abord eu "Ailefroide", une BD autobiographique sur sa volonté de devenir guide de haute montagne quand il était jeune, et ensuite "Le Loup", un roman graphique écologique sur la difficile cohabitation entre homme et loup. "La dernière reine" se déroule une nouvelle fois dans un décor montagnard, plus précisément dans le massif du Vercors. Cela dit, si sa couverture ressemble fortement à celle des deux précédents albums de Jean-Marc Rochette, son scénario se révèle à la fois très différent et très original.
"La dernière reine" est en quelque sorte un double récit. D’une part, c’est une histoire d’amour très forte entre Edouard Roux, un soldat gravement défiguré lors de la guerre 14-18, et Jeanne Sauvage, la sculptrice qui va lui redonner un visage. D’autre part, les pérégrinations de ces deux personnages sont entrecoupées par des séquences plus courtes durant lesquelles on suit le destin souvent tragique des ours sur le plateau du Vercors à travers les siècles, en remontant même jusqu’à la préhistoire. Il faut dire qu’il existe plusieurs liens entre Édouard et les ours, puisque celui-ci a assisté à la mort d’un des derniers ours du Vercors quand il était enfant, tandis que sa famille a toujours eu un lien spécial avec ces animaux majestueux. Bien des années plus tard, il va également aider sa compagne à créer une magnifique sculpture d’ours, contribuant ainsi à la faire connaître du tout Paris. Et puis bien sûr, il y a cette fameuse dernière reine, qui est le surnom donné au dernier ours. Comme le dit Edouard, "le jour où la dernière reine disparaîtra, alors sera venu le temps des ténèbres". Il y a clairement un message environnemental derrière cette prédiction. Car si "La dernière reine" est une BD d’une grande beauté, c’est aussi et surtout un livre sans beaucoup d’espoir, dont l’objectif est de démontrer que l’homme a toujours été destructeur pour les autres hommes, pour les animaux et pour la nature. Comme dans ses livres précédents, Jean-Marc Rochette s’interroge sur le lien entre l’homme et la nature. Et sa réponse est claire. "Il faut fuir les hommes. Les forêts sont devenues trop petites pour cacher les ours et ceux qui s’aiment", fait-il dire à Edouard. Un peu déprimant donc. Malgré tout, "La dernière reine" vaut largement le détour car c’est un chef d’œuvre visuel, dans lequel l’auteur a mis beaucoup de lui-même. Certaines planches sont de véritables œuvres d’art, avec des dessins puissants et hachurés, superbement mis en valeur par des couleurs parfois lumineuses, mais plus souvent sombres, dans une ambiance crépusculaire de fin du monde. Des dessins en totale adéquation avec cette histoire aussi belle que tragique, qui ravira les amateurs d’art, de montagne et d’Histoire.
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