Une ambition qui se perd en bons sentiments

Lou Lubie a animé le forum dessiné, un endroit où les dessinateurs s’amusaient à dessiner ensemble. Assez logiquement, la voilà qui dessine à quatre mains une bande dessinée avec Manon Desveaux qu’elle a rencontré en ces lieux. « La fille dans l’écran » est donc un ouvrage original où une page sur deux est dessinée par l’autre, avec son propre style (on n’est pas dans l’idée d’une fusion à la Dupuy Berberian). Le tout est publié chez Marabulles pour 180 pages de lecture.


Page de gauche, nous avons Coline, dessinée par Manon Desveaux. Elle vit à Périgueux et veut devenir illustratrice. Elle n’est pas soutenue par sa mère qui lui met la pression pour reprendre des études. Elle a des crises d’angoisse également, ce qui n’arrange rien. Page de droite, nous avons Marlène qui vit au Canada. Elle abandonné son rêve d’être photographe pour une vie plus « adulte » avec son copain. Elle est barmaid. Quand Coline tombe sur les photos de Marlène, elle lui envoie un mail pour les utiliser comme référence pour son livre. Commence alors une correspondance à plusieurs centaines de kilomètres de distance et… six heures de décalage horaire.


On passera sur le spoiler complètement débile de la couverture qui raconte l’histoire (le premier baiser n’arrivant qu’au deux tiers de l’ouvrage). Le début raconte avant tous les échanges de mails. En gros, l’une envoie un mail pendant que l’autre vit sa vie, puis ça s’inverse. Le procédé, où tout passe par mails, puis whatsapp est intéressant au départ, mais trouve vite ses limites. Lire des messages, ce n’est pas toujours passionnant, même si les auteures cherchent régulièrement à renouveler les événements (message non-lus, pas de réponse à cause du décalage horaire, plus de réponse car occupée ailleurs, etc.).


J’étais assez enthousiaste quant à l’utilisation des deux styles graphiques. On attend forcément la réunion des deux. En cela, c’est assez décevant. En effet, Coline a droit à des pages en noir et blanc et Marlène en couleur. Mais cela n’a pas de sens au niveau narratif. C’est juste un choix artistique des auteures. On aurait imaginé que les planches de Coline prendraient peu à peu de la couleur à force de se rapprocher de Marlène, mais ce n’est pas le cas. Quand elles sont ensemble, quelques teintes (comme les cheveux de Marlène ou le ciel) sont ajoutées, mais il manque une déflagration. « La fille dans l’écran » prend ainsi l’image d’un exercice de style qui ne va pas vraiment au fond des choses.


Au niveau de l’histoire, ça se lit. C’est plein de bonne humeur et ça plaira à tous ceux qui étaient déjà convaincus par la couverture. Il n’y a pas de grande surprise, c’est du feel good à fond. La mère de Coline n’est vraiment pas sympa, le mec de Marlène est un salopard fini. Quant à la découverte de leur homo/bi/pansexualité, elle n’est traitée réellement par l’ouvrage. Ça arrive, voilà. Et on ne se pose pas (trop) de questions. On aurait aimé un traitement de tous ces sujets (« je suis artiste mais j’ai abandonné mon rêve » par exemple) un peu plus poussé, surtout avec près de 200 pages. Je pense aussi à cette scène où Marlène propose le projet de Coline à un éditeur sans lui en parler et Coline ne lui en tient pas rigueur…


Côté dessin, j’ai un avis mitigé. Le dessin de Manon Desveaux m’a plu. Délicat et doux, il possède de belles qualités. Je suis plus circonspect sur celui de Lou Lubie. Son dessin est très typé blog BD, dans le mauvais sens du terme. Le dessin est excessif et inégal, assez froid. La colorisation est sans âme. Son personnage n’a pas toujours les mêmes traits du visage. Tout n’est pas mauvais, mais les deux auteures ne sont pas du tout au même niveau. Malgré tout, l’ensemble fonctionne et il y a, des deux côtés, quelques belles idées de dessin ou dans la narration. Le fait que l’ouvrage ait été réalisé en 6 mois laisse quand même des regrets sur sa réalisation. On sent qu’avec un peu plus de temps, la qualité aurait été meilleure.


« La fille dans l’écran » m’a amené des sentiments contraires. Si la lecture se révèle en soi plaisante, avec les ambitions du projet, on sent qu’il y avait mieux à faire, tant dans la réalisation, dans l’histoire ou dans la fusion des styles graphiques. Reste malgré tout un projet original, plein de bonnes intentions et de bons sentiments.

belzaran
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le 8 juil. 2021

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