Il y eut un temps où j'aimais Joan Sfar. C'était le temps où il était un dessinateur de BD qui faisait ses preuves, venant de Bayard Presse avec Sardine de l'espace. Il faisait pas mal de choses autour des monstres, et faisait des collaborations avec tous les brillants jeunes talents qui lui passaient sous la main (le mieux de cette collaboration, de mon point de vue, étant les Professeur Bell dessinés par Tanquerelle).
Et nous, nous étions jeunes et naïfs. La bande dessinée n'était pas encore devenue cette locomotive des librairies qu'elle est devenue. Nous étions agréablement décoiffés par cette vague de bande dessinée d'auteurs qui nous changeait des classiques de la BD franco-belge.
Un quart de siècle après, donc, je me replonge dans La fille du professeur. J'avais gardé en mémoire la folle efficacité des mimiques de Liliane, l'héroïne aux yeux incroyablement expressifs, et aussi l'ambiance victorienne gentiment revisitée.
Aujourd'hui je suis moins déconcentrée par l'effet graphique gouaché, qui a de véritables fulgurances mais aussi quelques cases plus inégales. Je me concentre donc sur l'intrigue, qui relève en réalité du marivaudage, et change de direction de manière si inattendue (l'identité de la deuxième momie, pourtant fou amoureux de Liliane au début) que l'on se rend compte qu'elle a été improvisée au fil des planches.
L'enchaînement rocambolesque des situations, parfois inspirées de Doyle ou de Stevenson (qui lui était infiniment supérieur), est très distrayant même si on se lasse un peu vers la fin (à partir du procès, je dirais). La conclusion est macabre juste comme il faut. On retrouve l'énergie qui ne s'encombre pas de morale d'un Pétrus Barbygère (pour toujours la meilleure série de Sfar).
La nostalgie est là. Quant à aujourd'hui... Je n'ai pas trop envie d'en parler.