Je n'avais encore jamais lu "les Passagers du Vent", par pure réaction, je l'avoue honteusement, au concert de cris d'admiration qui accompagna la sortie de cette BD devenue, comme on dit, un "pilier" du genre franco-belge, et qui a, comme c'est souvent le cas, littéralement créé un nouveau genre (on va dire le roman fleuve historique pour adultes, pour raccourcir). Ouvrir ce "classique" aujourd'hui, sans préjugés, nous expose au choc de défauts pour le moins surprenants : une importance trop grande accordée au texte (dialogues et narration), par ailleurs assez mal calligraphié ; des dessins très fouillis, avec des "cadrages" serrés sur le personnages qui font perdre ce sens de la topographie qui est pour moi tellement essentiel, en particulier dans un récit où le mouvement à l'intérieur d'un espace clos (le navire) est la clé de l'histoire ; un certain flottement dans la caractérisation des protagonistes, qui les rend quelques fois difficilement reconnaissables (même s'il s'agit là, il faut le reconnaître, justement du point de départ de la fiction) ; bref une lisibilité réduite, qui oblige dès lors le lecteur à pas mal d'efforts pour pénétrer dans le récit de Bourgeon. Bien sûr, les qualités de "la Fille Sous la Dunette" sont tout aussi prégnantes : la grande beauté des couleurs, la dynamique des mouvements, l'originalité du thème - la marine du XVIIIè siècle - et la force de l'histoire (avec ce beau "twist" central sur l'échange d'identité), tous deux originaux, le renouvellement grâce au féminisme des mécanismes du grand récit d'aventures classique, le souffle romanesque d'une manière générale expliquent l'engouement un peu démesuré provoqué au début des années 80 par la saga des "Passagers du Vent". Un peu gâché par un dernier chapitre - le sauvetage par les Anglais - capilotracté, "la Fille sous la Dunette" n'est pas le chef d’œuvre que j'espérais au fond de moi, mais s'avère une œuvre solide et même puissante. A suivre. [Critique écrite en 2015]