La vraie contrainte, quand on critique un Thorgal du XXe siècle, serait-elle de ne pas se référer à ses souvenirs de lecture d’enfance ? J’aurais voulu éviter mais… c’est trop tentant ! J’ai découvert les quinze ou vingt premiers volumes de la série enfant, sans suivre d’ordre précis. Je les ai oubliés ensuite sauf la scène du combat contre la panthère dans la Galère noire.
Peut-être en raison de la couverture. Et parce que la panthère meurt. (C’est quoi ce héros qui tue des animaux ?) Et à vrai dire, je me suis souvenu sans déplaisir « le plus ignoble tas de stupidité graisseuse qui soit jamais sorti du ventre d’une femme » (p. 19) servi par le héros au ventripotent prince Véronar (1).
À la relecture (2), qu’est-ce que ça va vite ! Mais vite à la façon d’un train de fête foraine, c’est-à-dire qu’on n’est pas toujours loin de dérailler : maintenir un rythme soutenu se fait parfois au détriment de la vraisemblance (3) et de l’équilibre général du récit. Et que de morts, ça tombe comme à Gravelotte ! Trop de morts, estimerait peut-être un directeur de collection en 2020.
Ce que je ne comprenais pas quand j’avais huit ou dix ans, c’était le comportement de Shaniah. (Il faut dire qu’à mes yeux, ça revenait au même qu’une greluche ait huit ou quinze ans, elle restait une greluche…) Et peut-être que l’absurdité de ses actes constituait un ressort dramatique plus puissant que l’expression caprice d’adolescente par laquelle un adulte les définirait.
Et puis enfant, j’aimais aussi les westerns. Peut-être est-ce pour cette raison – mais cela me passait complètement au-dessus – que j’adorais la Galère noire, dont l’intrigue est structurée comme celle d’un western : le village de paisibles cultivateurs, l’irruption d’inquiétants cavaliers, la vengeance, les exactions des hommes de main et les décombres fumants du village…
C’est flagrant pour la scène finale, dessinée et scénarisée – j’allais écrire filmée – comme un duel de western. Je me demande même si ce n’est pas la meilleure scène des quatre premiers tomes, en termes d’ambiance, de couleurs – pourtant un point faible de l’album –, de cadrage et de mise en case – jetez un œil à la double page 46-47 pour vérifier. Dramatiquement, la mort de Iarl Ewing vaut celle de Frank dans Il était une fois dans l’ouest.
(1) Mais n’oublions pas que la première réplique de Thorgal dans la saga qui porte son nom est un chapelet d’injures.
(2) En fait une re-re-re-relecture, où le nombre de re est probablement compris entre 30 et 50.
(3) On en parle, de la chronologie de l’ensemble – en particulier entre la bataille navale et le duel final ?