Partie 1 : https://www.senscritique.com/bd/jujutsu_kaisen/critique/305147862

Partie 2 : https://www.senscritique.com/bd/Je_vais_te_tuer_Jujutsu_Kaisen_tome_4/critique/305151009

Partie 3 : https://www.senscritique.com/bd/le_drame_de_shibuya_ouverture_jujutsu_kaisen_tome_11/critique/305152897

Dernière partie de ma critique sur le manga Jujutsu Kaisen. Obligé de la couper en 4 car c'est la condition à laquelle l'esprit qui hante mon ordinateur m'autorisera à nouveau à répondre à des quizz sur le lore d'Elder Scroll.

(Accessoirement, j'ai manqué de place.)

La Passion !

Partie 3 : Yuji l’exorciste.

Sous parties :

  • 1. Lumineux ténèbres
  • 2. La transformation de Yuji au cours de l’arc du drame de Shibuya ou la reconnaissance de l'existence du mal absolu.

1. Lumineux ténèbres

Nous voilà arrivé à notre troisième et dernière partie.

Le sujet de cette dernière partie : Yuji Itadori.

Yuji Itadori, un exorciste de haut niveau, le réceptacle de Sukuna, un jeune homme au grand cœur et pour ma part l’un des protagonistes « principaux » dont l’évolution me fascine tout particulièrement.

Bien que par chez nous la figure de ce bon Yuji est pu être éclipsé par des personnages autrement plus populaires tels que Gojo ou Megumi, ce cher Itadori reste à bien des titres le personnage le plus emblématique de son manga, et cela pour une raison simple, il est celui qui porte de la façon la plus totale l’une des problématiques si ce n’est la problématique principale de Jujutsu Kaisen à savoir : « Qu’est-ce qu’un exorciste ? ».

À travers son évolution Yuji se confronte aux différentes réalités du monde de l’exorcisme et nous aide à appréhender les thématiques les plus importantes de son univers.

Nous allons donc marcher à ses côtés et nous aventurer sur ce chemin tortueux qu’est l’exorcisme pour essayer de commencer à répondre à une autre question autrement plus vaste : « C’est quoi, finalement, Jujutsu Kaisen ? »

En route.

Pour Yuji, tout commence par un deuil, la mort de son grand-père.

Lorsque Wasuke Itadori perd la vie Yuji perd sa seule famille. Mais avant de quitter ce monde son grand-père a à cœur de donner une direction à la vie solitaire que Yuji s’apprête à mener : « Met ta force au service des autres » lui dit-il « Même si tu as des doutes et que tu n’obtiens rien en retour… Fais-le ! Comme ça tu ne mourras pas seul… Comme moi… ».

Bien que Yuji ne répond rien sur le moment, on comprend bien vite qu’il a à cœur de respecter les dernières volontés de son grand-père.

Déjà condamné en tant que réceptacle de Sukuna il rejoint les rangs des exorcistes de son plein gré dans le but de venir en aide au plus de personnes possibles.

Peu de temps après dans un chapitre appelé « Pour moi-même », qui n’est pas sans rappeler, pour les meilleures raisons, le chapitre « Starter » de Bleach, Yuji Itadori va réactualiser sa posture au vu de ses nouvelles obligations d’exorciste. Devenir exorciste lui permet certes de respecter le vœu de son grand-père, mais c’est avant tout pour lui-même qu’il a décidé de mener cette existence périlleuse. Les paroles de Wasuke ont été l’impulsion, un mantra précieux qui va guider ses actes, mais ultimement, la décision est bien la sienne.

Yuji Itadori a choisi de devenir exorciste.

À ce stade le but de Yuji est de trouver un sens à sa mort et par extension à sa vie. On assiste à l’émergence de la problématique de la « mort digne » qui va être au cœur de ses préoccupations au moins jusqu’à la fin de l’arc Junpei.

Il est intéressant de noter que déjà à ce stade du récit Yuji fait preuve d’une abnégation et d’un dévouement à la cause qu’il s’est choisi particulièrement impressionnant. Il s’est fait à sa mort prochaine et l’envisage comme le couronnement de son existence. Que ce soit dû au fait qu’il se sait déjà condamné en tant que réceptacle de Sukuna ou que cela soit davantage lié à son caractère, le fait est que Yuji présente très tôt tous les signes d’un guerrier en mission prêt à regarder la mort en face. Encore emprunt d’héroïsme à ce stade du récit ce trait de personnalité entraînera par la suite Yuji dans des abysses bien plus sombres et cruels.

Toujours est-il que prétendre avoir le mental d’un guerrier est une chose, mais réellement le mettre en application en est une autre. Heureusement, ou malheureusement pour lui, Yuji ne va pas tarder à avoir l’occasion de mettre ses belles résolutions à l’épreuve.

Et cette épreuve, il va l’a passé d’une bien belle façon.

Lors de l’arc de la naissance de la matrice qui fait suite à son entrée à l’école d’exorciste Yuji va être confronté à un fléau de classe S bien trop fort pour lui. Impuissant, son corps se déchiquette sous ses yeux, la douleur qu’il ressent martyrise son corps comme son esprit. Pour ma part, j’aime beaucoup ce visuel, qui apparait à la fin du chapitre 7, d’un Yuji désespérément humain qui lutte contre le champ de force d’une créature surnaturel à la seule force de sa volonté. Un duel de volonté, c’est bien ce qu’est ce combat.

Yuji fait face à un adversaire contre qui il sait qu’il n’a aucune chance de victoire et ce qui le maintien encore sur ces jambes à ce moment ce n’est autre que l’exigence et la ténacité avec lesquelles il a choisi de protéger ses paroles.

Et malgré la peur naturelle de la mort qui se saisit de lui quelques instants il reprend vite empire sur lui-même, rassemble son énergie et se prépare à lancer ce dernier coup qui doit donner un sens à sa mort.

Seulement Yuji est trop faible, son ultime assaut est sans effet et il n’a d’autre choix que passer la main à Sukuna.

Yuji a alors la première de nombreuses cruelles réalisations liées au monde de l’exorcisme : Choisir sa mort est le privilège des puissants et Yuji n’est pas encore l’un d’entre eux.

Mais ce n’est pas un échec loin de là, car au bout du compte, face à la figure de la mort elle-même, les résolutions de Yuji ont tenu bon.

Un peu plus tard pour sauver Megumi, Yuji, se sachant pourtant condamné par ses blessures, reprend le contrôle de son corps à Sukuna et meurt, un sourire aux lèvres, d’une mort on ne peut plus digne au pied de son nouvel ami.

Il s’agit là d’un de ces rares moments de beauté indescriptible dont Jujutsu Kaisen a le secret qui fait ressortir toute la luminosité de l’âme de ceux qui ont choisi sciemment de lutter dans les ténèbres.

Mais le destin, pour peu qu’on n’y croit, va s’avérer cruel et ramener Yuji dans ce monde d’exorciste marqué par l’horreur et qui empeste la mort. Pour le meilleur comme pour le pire, sa longue marche ne fait que commencer.

Avançons encore dans le temps et tâchons d’être plus synthétique.

La mort de Junpei sans définitivement changer du tout au tout les dispositions de Yuji va néanmoins percer une faille de taille dans son armure héroïque.

En effet, voyant cela Yuji va commencer à douter de la possibilité d’une mort digne dans un monde ou le mal se confond si aisément avec le bien. Ses convictions érigées jusque-là un bien absolu en opposition aux injustices qu’il se figurait, mais force est de constater que la réalité est plus complexe qu’il n’y parait. Le bien se cache parfois dans les détails comme le mal peut à son tour changer de camp en fonction de l’intention que l’on trouve à son origine. Junpei est un garçon déboussolé qui ne voit ses actes mauvais que comme la juste rétribution des souffrances qu’on lui a fait subir.

De son côté, Yuji sera amené dans cet arc à tuer pour la première fois en éliminant un fléau qui fut jadis humain. Pour certains, son acte serait honorable alors que pour d’autres, il pourrait bien apparaître comme celui d’un meurtrier. Quel que soit le jugement que chacun porte sur son acte, le fait est que Yuji a passé le point de non-retour, lui qui est devenu exorciste pour sauver des vies, a pris une vie pour la première fois.

Le socle idéologique de Yuji se voit alors mis à mal, le voilà branlant, et l’on sait pour avoir observé l’évolution de Suguru Geto qu’il n’y a rien de plus dangereux pour un exorciste que de commencer à douter de ce pourquoi il se bat.

Quoi qu’il advienne, Yuji a fait pour la première fois l’expérience traumatisante de cette proximité entre le bien est le mal. De plus, ne parvenant pas à sauver Junpei, Yuji a fait sien son premier regret. Une triste médaille sans reflet ni dorure, sans fierté ni prestige, au contraire, pesante et possessive, appelant à une pénitence éternelle qui comme un boulet à son pied précipite la chute de ce bon Yuji vers les abysses.

Une distinction dont il se serait bien passé et pourtant… « Maintenant tu es un exorciste », lui affirme alors Kento Nanami.

Une déclaration qui en dit long sur ce que signifie ce statut. Les exorcistes ont pour beaucoup des âmes en peine.

Exorciser un fléau est bien plus simple que chasser les regrets d’un homme. Pour cela, il est absolument nécessaire pour un exorciste que ses décisions les plus signifiantes puissent être soutenu par sa raison.

Mais le temps presse et Kento Nanami le fait bien comprendre au jeune exorciste : il est libre de chercher des réponses à ses questions, mais il n’a pas le loisir d’arrêter sa marche, car le propre de l’exorciste est d’aller de l’avant tout en portant le poids de ses regrets. Un échange d’une élégante sobriété que nous offre le chapitre 31 et qui clos en beauté l’arc de Junpei.

Après le tournoi inter-lycées au cours de l’arc du pont de Yasohachi, Yuji va côtoyer de plus près encore cette limite qui sépare le bien du mal.

Il est cette fois responsable de la mort de deux demi-humains, les frères Eso et Kechizu. À la suite de cet acte on le voit prendre lentement conscience de son appartenance de plus en plus marquée à ce monde de ténèbres contre lequel son héroïsme et son empathie naturelle l’ont mis en garde.

Yuji craint d’avoir à s’habituer à tuer, il est terrifié à l’idée qu’à force de tuer il ne sente plus le besoin de trouver de raison à son acte, mais il ne peut pas non plus nier l’évidence : une fois encore, il a pris la vie d’autrui, et une fois encore, autant que cela puisse le troubler, il parvient encore à rationaliser son action.

Une discussion intime avec Nobara révèle alors que Yuji est prêt à accepter tant bien que mal le rôle de criminel. Ainsi, pour avoir assassiné ensemble les deux frères Nobara et Yuji se nomme « complice du même crime ».

On commence à voir en quoi partager sa responsabilité avec ses frères d’armes soulage la conscience de Yuji ou au moins le conforte dans ses choix. Le fait de se sentir part d’un grand œuvre qui le dépasse l’aide à endurer les affres de sa mission d’exorciste. Un raisonnement qui prendra des proportions toutes autres lorsque Yuji devra quelques mois plus tard se justifier à lui-même que son existence est menée au massacre de plusieurs centaines d’innocents.

Le moment est venu de faire un dernier arrêt à Shibuya pour s’intéresser au moment où tout a basculé. Le moment où Yuji a abandonné l’idée de faire le bien pour devenir le moindre mal.

2. La transformation de Yuji au cours de l’arc du drame de Shibuya ou la reconnaissance de l'existence du mal absolu.

Une lande enneigée, un loup, un lapin, un regard prédateur : le moment où tout a basculé. Un instant suspendu d’une majesté divine et d’une terreur sublime.

C’est dans ce chapitre 132 que le Yuji que l’on connaissait depuis le début de notre histoire a connu un changement drastique.

Tout au long de l’arc du drame de Shibuya Yuji va voir sa philosophie malmenée par les événements. Fracassé en mille morceaux puis restaurer en urgence, l’esprit de Yuji va passer proche de se briser pour de bon plus d’une fois au point où on en est droit de se demander comment Yuji a pu rester lucide après pareil cataclysme émotionnel.

L’expérience y est sans doute pour beaucoup mais il est indéniable que Yuji a fait preuve ici d’une incroyable fortitude compte tenu de son propre compas moral.

Lorsque Yuji est assailli de la vision de tous ces gens innocents déchiqueté par Sukuna il perd le contrôle une première fois. Il en a assez, après ce qu’il vient de laisser faire plus aucune gymnastique mentale n’offre de justification satisfaisante à sa propre existence. Pris au piège dans l’enfer de sang et de mort qu’est actuellement son esprit il supplie qu’on mette fin à ses jours.

Mais au bout de quelques minutes, il revient à lui, son expression plus assombrie que jamais. De justesse, un dernier garde-fou mental a pris effet.

Yuji réalise que même en tant que damné, même en tant qu’humain éclaboussé par la souillure, imbibé par le péché, il est encore un exorciste, qui plus est, un puissant exorciste. Cela signifie qu’il y a encore quelque chose qu’il peut faire : il peut encore aider des gens.

Comme le dit si bien Satoru dans le roman « Eté flamboyant, automne naissant » : « Le pire ce n'est pas d'échouer, c'est d'oublier qu'on peut les sauver ».

Sa mission fait alors office d’ultime barrage au pensé suicidaire de Yuji, et dans un effort surhumain, il retrouve son calme, un calme presque inquiétant, un calme qui présage du grave changement qui s’opère lentement en lui.

Après ce premier traumatisme Yuji va perdre sous ses yeux l’une après l’autre deux des plus importantes figures de sa nouvelle vie d’exorciste : Kento Nanami et Nobara Kugisaki.

Si Yuji arrive à se remettre de ces deux pertes déchirantes c’est avant tout car celui-ci va une fois encore, mais à une tout autre échelle, partager la responsabilité ainsi que les implications de leur mort avec tous ses frères d’armes exorciste.

Kento Nanami lui dit : « Je compte sur toi pour la suite. ».

Aoi Todo lui dit : « Tant qu’on sera en vie nos amis disparus ne connaîtront pas la défaite ! » puis lui demande « Quel est ta mission ? ».

Et Yuji reprend des forces.

La vie de celui qui choisit l’exorcisme est enchaîné à un seul destin. Il ne peut arpenter que ce chemin enténébré et tortueux maculé de sang et pavé de regret, mais il n’a pas à le faire seul. Yuji fait part d’un grand ensemble, il incarne quelque chose qui le dépasse et pour que ce quelque chose englobant continue d’avoir un sens il sait qu’il n’a d’autres choix que d’avancer.

En plus de ses traumatismes Yuji n’est pas au bout de ses peines, car il va avoir pour adversaire privilégié la contradiction vivante de ses propres idéaux : Mahito.

Et oui on n’en a jamais vraiment fini avec ce cher rapiécé, il est partout et franchement tant mieux car il est passionnant.

Et si on parle de Mahito cela veut dire que le moment est venu de se pencher sur le fameux « Toi et moi on est pareil ».

« Tu es moi », une phrase prononcée par Mahito à l’attention de Yuji dans le chapitre 121 qui a soulevé toute sorte de questions parmi les adeptes du manga d’Akutami et en a laissé perplexe plus d’un. Il est vrai qu’à première vue rien ne semble rapprocher les deux concernés… Et pourtant.

Voilà selon moi la très intéressante réflexion à laquelle veut nous amener cette affirmation de Mahito :

Jusque-là, Yuji refusait de reconnaitre l'existence de Mahito, l'absurdité de sa violence, la déraison de son comportement meurtrier. Mahito est le miroir déformant des pires craintes de Yuji, il est celui qui fait le mal sans réfléchir alors que lui veut à tout prix faire le bien de façon consciente. Yuji est terrifié par cette absence de raison formelle qui mut Mahito et ce dernier va jouer là-dessus pour le briser. Si Mahito insiste autant sur leur ressemblance c’est pour forcer Yuji à reconnaitre que les beaux idéaux qui le pousse à agir ne sont que des prétextes et que comme le fléau il n’est au fond qu’un meurtrier, ni plus ni moins, qui laisse libre cours à ses sombres désirs. Un monde où l'on peut tuer sans raison, un monde où l'on peut ne pas se questionner sur le sens de ses actes les plus abjects, c'est de ce monde dont Yuji a peur, c'est un monde dans lequel il refuse de vivre et le comportement de Mahito est une fenêtre ouverte sur ce monde absurde. Yuji va alors renier l'existence de Mahito en le traitant comme un fou incompréhensible. Cela est d’autant plus clair lorsque Yuji hurle sur le fléau après que celui-ci ait tué Kento. L’exorciste ne lui crie pas des injures mais lui demande tout simplement ce qu’il est en train de faire. Pour Yuji, il s’agit d’un acte qui va au-delà de toute rationalité. Yuji ne peut pas accepter qu'il existe un instinct de massacre si décomplexé et de surcroît intelligent qui soit née de la psyché humaine, car c'est précisément sa propre raison d'agir que Yuji cherche à s'expliquer, c’est sa propre psyché qu’il cherche à ordonner. Pour Yuji, Mahito est une impasse à ses propres réflexions.

Mais le fait est que Mahito est bien réel et va arriver un moment où ses actes abjects en tant qu’incarnation des pensées négatives de l’humanité ne pourront plus être niés.

C’est cette cruelle réalité qui va alors amener Yuji à faire un choix qui va amorcer sa plus signifiante transformation à ce jour.

Et nous voilà revenus au début de notre partie… Le mirifique chapitre 132.

Le moment où tout a basculé.

Face à l’indéniable horreur des événements de Shibuya, Yuji va accepter le mal comme élément fondateur de sa réalité. Yuji le reconnaît à présent, le mal existe sous sa forme la plus pure, sous sa forme la plus vile, la plus pitoyable. Tout comme le mal peut être inhérent à certaines actions, le mal avec un grand M existe de fait en ce monde, chez le fléau, et donc évidemment, chez l’homme. Ce qui implique que ce mal existe aussi en Yuji lui-même. Face à cette révélation la présence de Sukuna à l’intérieur de Yuji apparaît comme particulièrement symbolique. Depuis la mort de Junpei, Yuji s’est débattu avec cette image de meurtrier qu’il a de lui et pour ne pas sombrer sous le poids de sa culpabilité a cherché à esquiver la question en brandissant ses devoirs d’exorciste, de ce point de vue-là Mahito avait raison.

Mais c’est terminé, à partir de ce chapitre Yuji assume tout.

Ainsi, en plus de prendre conscience de l’existence d’un mal absolu, Yuji prend conscience de la responsabilité du mal. L'on retrouve ici la réflexion sur l’intention à l’origine du mal déjà avancé dans l’arc Junpei. On peut à priori faire le mal du moment que l'on est responsable et conscient de son acte mauvais et de l'intention qui le motive.

Autrement dit, on peut sciemment faire le mal avec de bonnes intentions.

Cette prise de conscience de Yuji n’est pas sans rappeler la façon dont la dualité bien et mal est traitée dans le bouddhisme. Bouddhisme qui d’après Akutami lui-même a clairement influencé son œuvre et sa philosophie. Il suffit pour s’en convaincre de se renseigner sur la signification des « mudra » employés par les différents protagonistes ou du design de nombreuses créatures ou personnages tels que Mahoraga ou Kenjaku dont le nom a d’ailleurs un lien des plus fascinant avec le caractère miséricordieux du Bouddha.

Toujours est-il que dans le bouddhisme la croyance populaire n’oppose pas le bien et le mal mais plutôt ce qui est mauvais et ce qui est profitable. Et pour définir ce qui est mauvais, je vous le donne en mille, il faut d’abord s’intéresser à l’intention. C’est l’intention qui définit en bonne partie la relation d’un individu à ses actes.

Et dans le cas de Yuji la bonne intention (ou l’absence d’intention lorsque celui-ci est possédé par Sukuna) avec laquelle il a pu commettre et commettra des actes intrinsèquement mauvais lui permet de s’accepter tel qu’il est, de s’accepter non plus comme un héros, mais comme un mal nécessaire.

Yuji reconnaît alors la nécessité, pour lui comme pour sa mission d’exorciste, de voir le bien et le mal non plus comme des principes opposés mais bien comme des principes complémentaires. Une vision à nouveau très proche de la façon dont le bouddhisme perçoit cette fameuse dualité.

Néanmoins, il est important de souligner qu’un acte mauvais reste mauvais, il reste toujours la propriété du mal peu importe l’intention avec laquelle il est commis. C’est pour cela qu’il est important d’avoir des regrets, car finalement, autant qu’ils puissent le faire souffrir, ils lui rappellent la propre vilenie de ses actes ce qui évite à Yuji de se perdre et de devenir à terme ce monstre froid et sans raison qu’il craint tant.

À titre de comparaison Kenjaku dans le chapitre 91 affirme qu’il ne connaît plus le goût des regrets, une preuve des plus parlante que dans la philosophie de Jujutsu Kaisen ne pas regretter ses erreurs est le propre des monstres. Le regret est un trait psychologique qui distingue l’inhumain de l’humain.

Ce nouveau socle philosophique et idéologique durement acquit va alors permettre à Yuji d’agir en faisant fi de lui-même, lui permettant de pleinement endosser ses responsabilités d’exorcistes.

Ainsi, à la fin du magistrale chapitre 131, lorsque Yuji poursuit dans la neige un Mahito atterré, nous assistons à la conclusion de toutes les réflexions interne de Yuji qui est traduit sous nos yeux en quelques pages d’une puissance à couper le souffle.

Yuji est passé de "sauveur" à "sacrifié" de « sentimentaliste » à « chasseur ». Ayant d’abord tendance à chercher une raison à la vie et à la mort de chacun il a évolué vers une conception absolutiste de sa mission, non pas dénué d'état d'âme, mais ferme dans son choix imparfait, embrassant pleinement les aspérités de sa vie d'exorciste. Il tue et endosse les conséquences de ses meurtres car ceux-ci ont pour lui un sens qui le dépasse. Il doit agir ainsi car telle est sa mission.

On prend alors toutes la mesure de l’énorme changement de notre protagoniste principal qui affirmera par la suite à Kinji, dans le chapitre 151, lors de l’arc de la traque, qu’il n’est qu’un rouage au sein d’une grande machine et qu’il se contente de jouer son rôle quitte à en mourir.

On est bien loin alors du Yuji des débuts qui affirmait son individualité en disant avant tout faire les choses pour lui-même, et cela bien que son évolution reste totalement logique compte tenu du caractère dévoué qu’il affiche assez tôt dans notre histoire.

Plus tard, au terme du fantastique combat qui l’opposera à Hiromi, Yuji acceptera d’être reconnue comme meurtrier des crimes commis par Sukuna à Shibuya soulignant encore davantage son statut de coupable, d’âme damné qui mérite, d’après Yuji lui-même, un jugement exemplaire.

Un comportement qui laisse présager d’une fin plutôt sombre pour ce cher Yuji qu’il me tarde de découvrir dans les tomes qui nous séparent encore de la fin de ce manga décidément prodigieux qu’est Jujustu Kaisen.

Fort de ces réflexions éclairantes, revenons-en à notre problématique principale : « Qu’est-ce qu’un exorciste ? »

Les exorcistes sont des sorciers combattants qui évoluent dans un monde qui leur demande constamment de se tenir responsable de leurs propres actes et de légiférer sur leurs propres actions car en tant qu’être aux capacités supérieures ils se présentent à la fois comme juge et bourreaux du mal absolu. Côtoyant au plus près l’horreur et l’absurdité de leur monde, ils sont de ceux qui auraient le plus besoin de rêve ou d’idéaux pour soutenir leur marche sans fin sur un chemin entaché de sang et hanté par les regrets. Malheureusement ce chemin à précisément pour particularité de drainer leurs ressources et d’enténébré leurs esprits jusqu’à parfois piller leurs âmes de sa lumière faisant d’eux des êtres aussi sombres que les forces auxquelles ils s’opposent. Sans rêve pour guider leur pas, sans grands idéaux pour insuffler du sens à leurs actes ils sont alors confrontés d'autant plus frontalement aux grandes problématiques qui sous-tendent habituellement en arrière-plan les actions humaines : le bien et le mal, la justice et l’injustice, la dignité et la laideur. Et face à ces problématiques, ils sont encouragés à s’oublier afin de pouvoir un jour de plus s’accepter. Certains se trouveront des raisons propres plus ou moins louable pour justifier leur rôle, mais une chose est sûre, tous n’en seront pas capables. Au final, les exorcistes ne s’appartiennent pas, ils appartiennent à leur mission. Ils sont formellement les mécanismes du grand engrenage du châtiment qui cherche à faire en sorte que les gens qui ont fait le moins de mal puissent avoir une existence un peu plus juste.

Mais cette mission semble sans fin et nombreux seront les sorciers harassés par l’effort qui s’effondreront en chemin sans avoir été capable ne serait-ce que de se figurer le lieu où leur longue marche était censée les menés.

En effet, si le mal est la seule raison d'exister du bien la mission des exorcistes n’aurait-elle pas pour seule finalité leur disparition ?

L'exorciste idéal devrait aspirer à sa propre fin : à la fin des exorcistes.

Les exorcistes auront véritablement gagné lorsqu’ils ne seront plus nécessaires. Est-ce là leur récompense, de disparaître ? Et après quelle vie s’offrirait à eux ?

Jujutsu Kaisen nous donne plusieurs exemples de ce qui attend un exorciste par-delà sa propre vie et le repos du trépas ne lui est pas toujours garanti.

Une fois les exorcistes dispensables, ce sont ces mêmes regrets, garant de leur humanité de leur vivant, qui, non sans une certaine ironie, seront susceptibles de faire d’eux des fléaux après leur mort. En effet, "un exorciste sans regret n'existe pas" et des regrets naissent les émotions négatives qui donnent forme aux fléaux. Pour éviter cela un exorciste doit être achevé par l’exorcisme.

On comprend alors que pour l'exorciste, l'exorcisme est l'alpha et l'oméga de sa vie, ce qui la met en mouvement et ce qui l'achève. L’exorciste idéal brûle ainsi sa vie par les deux bouts et est réduit en charpie, usé jusqu'à la corde par la dévotion qu’il voue à sa mission d’avant-garde de l’humanité.

Voilà ce que sont les exorcistes, des soldats du moindre mal qui ne s’appartiennent pas et recherche la lumière au cœur des ténèbres, assailli qu’ils sont par des dilemmes complexes. Leur arme de choix, l’exorcisme, est une lame sortie des braises qui les brûles tout autant que leurs ennemis naturels, et cela, tout le long de leur marche en avant, un avant au sein duquel les exorcistes s’abîment sans certitude de retour ni d’arrivée.

Voilà ce que sont tristement les exorcistes…

Mais ce n’est pas vrai ou, en tout cas, pas entièrement vrai, car si vous avez vécu Jujutsu Kaisen, vous savez que les exorcistes sont bien d’autres choses.

Et il conviendrait de ne pas oublier ces autres choses car elles sont d’autant plus essentielles.

Alors, à l’instar des exorcistes, permettez-moi d’apporter un peu de lumière au sein de ces ténèbres, permettez-moi de poser à nouveau la question : « Que sont les exorcistes ? »

Les exorcistes sont aussi des camarades qui portent héroïquement sur leurs épaules le fardeau de leurs frères d’armes tombés au champ d’honneur. Ils sont la somme des vies qu’ils ont sauvées autant que la somme de celles qu’ils n’ont pas pu secourir, pour cela leur culpabilité les ronges parfois, mais se révèle aussi être un professeur érudit à même de les aider à développer un instinct vertueux. Alors, quand leurs regrets les poussent à l’introspection, ils en ressortent grandit et s’humanisent, faisant d’eux des défenseurs tout désigné de leurs semblables car ils en comprennent mieux que personne les souffrances et les imperfections.

Oscillant entre le mieux et le pire leur longue contemplation de la danse à laquelle se livre le bien et le mal leur à octroyer une fortitude à nul autre pareil leur permettant de s’acquitter de tâche salissante pour le bien du plus grand nombre sans pour autant y perdre l’esprit.

Les exorcistes par leurs actions créent des foyers de résistance dans l’imaginaire humain et inspirent le sens du devoir envers soi-même comme envers ceux que l’on souhaite protéger. Leurs actes son édifiants et leurs morts dignes car ils ont plus que personne à cœur de donner un sens à leur vie. Ainsi sont-ils les plus à même d’apporter la lumière à autrui car il ne cesse de la rechercher en eux-mêmes pour se convaincre que leur combat aujourd’hui comme dans mille ans trouve son sens pour quelqu’un.

Voilà tout ce que sont les exorcistes et Jujutsu Kaisen est le récit de leur combat.

Conclusion !!! :

Décidément les regrets sont un thème récurrent dans cette critique. Et ça tombe bien car c’est souvent à ça que me sert la conclusion de mes critiques, à savoir, exprimer mes regrets.

J’aurais comme d’habitude voulu parler de tant d’autres choses :

  • L’évolution incroyable de Maki Zenin qui est l’un des personnages féminins que j’ai le plus apprécié depuis longtemps ainsi que mon intérêt tout particulier pour son cousin, le génialement arrogant Naoya Zenin.
  • J’aurais aussi voulu parler plus en détails d’un autre thème de premier plan du manga d’Akutami à savoir la très intéressante opposition récurrente entre l’ancien monde et le nouveau. Un thème supporté, entres autres, par : Kenjaku qui veut faire renaitre l’âge d’or des exorcistes qu’il situe au moyen-âge, la nouvelle génération d’exorciste formé par Gojo et Kento contre les chefs des grandes familles traditionaliste, les anciens exorcistes réincarnés contre les nouvelles générations lors de l’arc de la traque etc, etc.… Franchement, avec l’arc de la traque meurtrière l’histoire tout entière de l’exorcisme devient un sujet d’analyse.
  • J’aurais pu aussi développer davantage les symboliques et potentielles métaphores liées au bouddhisme tout particulièrement celles qui entourent Kenjaku car elles aussi en disent long sur la philosophie de l’œuvre d’Akutami.
  • Et comment oublier l’HA-LLU-CI-NANT arc de destruction du clan Zenin. Un bijou à l’état brut qui ne quittera jamais mon esprit.

Mais bon, mais bon, mais bon, mais bon…

À l’image des exorcistes, il m’a fallu faire des choix et aller de l’avant (c’est une jolie façon de dire que j’avais pas le temps). Et puis il fallait bien trouver une fin à cette critique à un moment ou à un autre.

Akutami, lui, semble en tout cas avoir à cœur ce sentiment de complétion car à en croire ses plus récentes interviews la publication de Jujutsu Kaisen prendra fin cette année 2024.

C’est un sentiment étrange et un peu frustrant… Mais je suis tout de même reconnaissant d’avoir pu écrire ces lignes en sachant qu’une œuvre aussi exceptionnelle est encore en train de s’écrire sous nos yeux.

Mais alors au final, la vérité ?! Jujutsu Kaisen, classique instantané ou pas ?

Eh ben si vous faites partie de ceux qui pensent que l’expression classique instantané est un oxymore vous avez déjà choisi votre camp, n’est-ce pas ? Votre réponse est « non » je suppose ?

« Le statut culte d’une œuvre ne se construit que dans le temps… »

« C’est de son héritage qu’il faudra juger… »

Ce genre de réflexion, on les connaît. Pas qu’elle soit fausse, non, non, mais qu’on se le dise elle manque un peu d’audace, de passion.

Mes critiques sont un temple érigé à ma passion. Et puisqu’on n’est pas venu au temple seulement pour manger une hostie et se moucher dans le Saint-Suaire je vais m’avancer un peu plus.

Donc,

Classique instantané Jujutsu Kaisen en a définitivement le potentiel, il est brillant, ça ne fait aucun doute. « Un des tout meilleurs mangas de notre siècle ? », assurément. Ses personnages sont profonds et leur unicité s’en ressent bien, ses thématiques sont absorbantes et particulièrement intelligentes, son univers est d’une originalité certaine qui gagne à être explorée et ses combats, oh mon dieu ses combats !

Je l’ai dit au début de cette critique et je vais le rappeler ici, Jujutsu Kaisen, sans pour autant être pour moi un classique, est un prodige. Une œuvre culte peut-être pas, mais une œuvre prodige à coup sûr. Une œuvre qui a réussi exceptionnellement bien tant des choses qu’elle a entreprit qu’elle a laissé un souvenir impérissable de ses victoires au sein de l’esprit de ceux qui y sont réceptifs.

Et ce tutoiement du génie si difficile à nier, cette aura de souverain peut-être à jamais sans couronne, c’est peut-être bien là des attributs encore plus reconnaissables et précieux que ceux que l’on associe parfois sans conviction avec l’œuvre que tout un chacun se doit de reconnaître comme un classique du manga.

Jujutsu Kaisen, le fils prodige, oui. Avant-garde d’une nouvelle génération de chef-d’œuvre... ?

Espérons !

Dr_Stein
9
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le 1 mai 2024

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