C’est dingue la francophobie. Là où le titre japonais de l’œuvre présente comprend littéralement le nom de « Versailles » avec « Versailles no Bara », l’adaptation animée, en France – pays où se situe Versailles pour ceux qui n’auraient pas suivi – a l’audace de se nommer carrément « Lady Oscar ».


Lady.


En France.


Dans un manga situé à une époque où toutes les cours royales de chaque pays que comportait ce putain de continent européen parlait le français. L’anglicisme, c’est compulsif chez certains, à vous faire regretter la Guillotine.


À qui je vais faire croire ça. J’ai pas besoin d’entendre une anglicisation pour vouloir rétablir la Guillotine. Ah ça non…Et ça tombe rudement bien – comme une lame de Guillotine, d’ailleurs – puisque de cet instrument de mort si sophistiqué et porteur d’avenir, il en sera question. En toile de fond uniquement ; hélas .


Lorsque vînt le moment de critiquer Innocent, j’ironisais alors en allant jusqu’à clamer que la véracité historique qui y fut présentée, comme les effusions lacrymales d’usage, n’avaient rien à envier à La Rose de Versailles – que je n’avais pas lu en ce temps-là. Ma lecture achevée, je puis confirmer avec davantage d’emphase qu’effectivement, La Rose de Versailles, un Shôjo de 1972 – une belle année pour le manga – était autrement plus appréciable à la lecture que cette débauche de conneries qu’avait pu être Innocent. Qu’on se le dise toutefois, Riyoko Ikeda, quand elle a composé son œuvre, l’a fait après avoir abondamment trempé sa plume dans Angélique : Marquise des Anges. Pour peu que vous ayez davantage de testostérone que d’œstrogène dans le sang, ce sera vous abandonner au plus sordide des tourments que de vous infliger cette lecture.


Bien sûr, il y a pire. Il y a BIEN pire. Toutefois… attention les yeux ; gare à ne pas être aveuglé par le blizzard de paillettes qui vous giflera le visage à chaque page qui se succédera.

Pendant un temps - je vous parle d’une époque suffisamment reculée pour y avoir réchappé comme on se soustrairait au couperet – il n’y avait pas un Shôjo qui se dessinait sans ce style. Les longues silhouettes graciles, les visages très rudimentaires où ne paraissait pas une imperfection, des coupes de cheveux se terminant toutes par des boucles ondulées et puis, il y avait ces yeux… ils étaient grands, ils étaient noirs, et dedans, y scintillaient des paillettes pareilles à mille constellations rayonnant dans le fond d’une galaxie bien sombre. La mère Ikeda, elle a posé des codes dont une foultitude d’auteurs se seront inspirés par la suite. Bon Dieu, c’est donc de là d’où est parti le bishônen. En lisant la Rose de Versailles, on pose son regard sur le patient zéro d’une bien vilaine maladie qui n’en finit pas de crever l’art au-delà même du Shôjo. Qu’il s’en trouve un pour me dire qu’il ne pense pas à son style graphique quand il lit Saint Seiya.


Les mâles, dans le manga, devraient être dessinés avec des muscles saillants, tels que Dieu et Satoru Noda l’ont voulu !

Tout ça pour dire qu’au-delà du générique d’un anime dont tout le monde connaît le refrain, La Rose de Versailles a marqué l’histoire de son petit milieu éditorial. Ce sera donc avec délicatesse que je poserai dessus mes pognes aux phalanges usées de mes strangulations successives. Dans un premier temps du moins, pour mieux resserrer petit à petit des doigts un peu plus crispés à chaque page qui vient.


Naturellement, après que cinquante ans se soient écoulés, ce serait gratuit et malvenu de dire que l’œuvre a vieilli. Et pourtant, pas si mal. La scénographie mielleuse est assez lourde à la lecture, il est vrai, mais le paneling est déjà plutôt en avance sur son temps. Tellement en avance que les successeurs putatifs de la Rose de Versailles n’auront jamais été foutus d’égaler l’œuvre pour ce qui tient à son innovation graphique ou la teneur de sa trame.


Dire « Shôjo », aujourd’hui, c’est presque vulgaire tant on sait ce qui se rapporte présentement au genre. Tout, depuis long, n’est plus mièvreries larmoyantes et autres prétextes aux débordements d’œstrogènes ; ceux-ci faisant le lit de personnages vains et superficiels apparemment supposés représenter les femmes. Si on souhaitait lire du contenu consistant sur ces dames en ce temps-là – et même plus encore aujourd’hui – il fallait encore lire du Kamimura pour se sustenter.


La Rose de Versailles vise très au-dessus des prétentions de la plupart des Shôjos à succès dont le manga fut pourtant l’égérie malgré lui. Versée dans la littérature et la philosophie du fait de ses études Riyoko Ikeda touche aussi sa bille en histoire. La documentation sur la période historique ici narrés, sans non plus ébranler les murs, ne mime pas l’époque qu’en surface. Il y a un travail dont on mesure le poids dans les pages alourdie par l’encre d’une narration ayant su se montrer copieuse pour venir établir le contexte. La cour, le fameux cardinal de Rohan, Fersen, Necker ; rien ne sera omis quant à ce qui aura gravité autour de l’Autrichienne. La fiction, évidemment, y aura aussi la part belle. On aura droit à une histoire de descendante cachée des Valois, Robespierre comme quasi-habitué de la court entre autres facéties dignes d’un Masque de Fer. Cela donne de la consistance au scénario qui, malgré le pathos et les yeux qui brillent au point de provoquer la cécité du lecteur, sait être plus qu’un recueil d’amourettes navrantes. Les intrigues de cour – étant ici principalement le fait des femmes – sont relativement bien mises en avant et captent l’intérêt d’un lecteur pour qui un tel Shôjo ne serait en principe pas désigné. C’est pas pour moi et, ma masculinité toxique – corrosive même – me prévient de tomber en amour d’une telle œuvre. Il n’empêche que si elle ne m’est pas destinée, considérant son âge ; elle est bien écrite et dessinée pour ce qui est de l’agencement des planches. C’est vivant, dynamique et ça se garde d’être trop sirupeux. Du mérite, j’en lis plein les pages.


Cependant, et au risque d’insister… c’est pas pour moi.


Lady Oscar est, je crois, le versant d’un Ashita no Joe destiné à un public féminin. De même qu’en ce temps-là, le Shônen savait être grandiose au point d’élever les âmes avant de devenir ce que l’on sait, le Shôjo – et je l’ai découvert en lisant La Rose de Versailles – avait des aspirations nobles et du talent dans la plume de ses auteurs. Je pensais le genre voué à l’inanité de naissance, mais je constate amèrement que lui aussi fut en proie à une lente décadence progressive. Progressive…. mais quand même beaucoup plus prononcée.


Oscar est, du reste, un très bon personnage principal. Elle n’a pas de bons sentiments plein la gueule et, bien qu’elle soit vertueuse, reste implacable. Ça n’est pas une « gentille » à proprement parler. Elle aura été écrite tout en souplesse.


Du drame, il y en aura sans qu’il ne soit trop mis en scène et maniéré. L’histoire est objectivement bien écrite bien qu’elle nous paraisse vieillie du fait qu’on ait pu en lire ses répliques parues durant les décennies ayant suivi. Pour l’époque, ça n’était pas seulement bon ; c’était impressionnant. Je persiste et signe, mais cette narration de chroniques – certes fictives – d’un contexte qui se laisse glisser le long des événements pré-insurrectionnels ayant entraîné la prise de la Bastille est franchement plaisant à la lecture. Le seul inconvénient étant qu’il ait le mauvais sens d’être perpétuellement entrecoupé de quelques afféteries romantiques ronflantes.

On ne m’ôtera pas de l’idée cependant que, si dame Ikeda a porté un regard si complaisant à l’égard de la monarchie par rapport à la plèbe calomnieuse, c’est parce qu’ils présentaient mieux du fait de parures plus soignées.


Ce manga est une relativement bonne surprise. Car malgré le temps qui, implacablement, aura avalé les années, la Rose ne se sera pas fanée. Ça n’a pas si mal vieilli que ça si on remet tout en contexte et on constate à quel point ce fut en avance sur son temps sur pas mal de points. Indépendamment de ce que je puisse en penser en tant que lecteur, nonobstant les renvois quand se profilaient les amourettes, La Rose de Versailles est un grand du manga de son époque. Je sais en tout cas que dans le registre qu’il aura contribué à consolider, jamais ce titre ne fut surclassé en terme de qualité par ses successeurs. À ce titre, respect lui est dû car ce manga, à n’en point douter, est de la race des précurseurs et certainement pas des suiveurs opportunistes.

Josselin-B
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le 10 août 2024

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Josselin Bigaut

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