Larzac, histoire d'une résistance paysanne par Christine Deschamps

C'était une autre époque, évidemment, mais on peut en regretter le militantisme et l'engagement, à bien des égards. Après le très chouette documentaire Tous au Larzac !, cette BD était une façon de creuser un peu le sujet de cette lutte héroïque d'un petit pot de terre contre un gros pot de fer. D'une poignée de paysans relativement conservateurs contre l'Armée Française. De propriétaires de fermes sur un plateau désertique contre l'extension d'un camp militaire dont on comprend qu'on ait voulu aller le coller dans cette zone peu peuplée, mais pas déserte. C'est comme une grosse cimenterie à deux pas de petits villages ruraux; c'est toujours mieux qu'en région parisienne, sur le papier, mais ça vous dévaste des vies quand même. Moins de vies, certes. Parfois, malgré tout, les multinationales et les états tombent sur des os. Comme dans le Larzac, dont le combat a fait boule de neige et agrégé des tas de revendications dans l'air du temps des années 70. Dix ans d'un bras de fer éreintant et disproportionné à l'issue inattendue, puisque les fermiers ont fini par obtenir gain de cause, les faits sont connus. Cette épaisse BD est une mine d'informations, fondée sur les documents d'époque, dont certains sont reproduits en doubles pages pixelisées d'assez bel effet. Sans compter qu'il inclut également des planches de Cabu, qui, quand il ne croquait pas au Club Dorothée, n'était pas manchot. On suit donc les démêlés d'une poignée d'irréductibles contre la Grande Muette, le Ministre de l'Intérieur, la majorité de l'époque et le Président de la République, rien que ça. Il en fallait, de la détermination ou du désespoir pour penser pouvoir se lancer dans cette bataille. Le scénario ne fait pas mystère des défections, des moments de découragement, des pressions subies, et, à mesure qu'on tourne les pages, on se surprend à devenir de fervents défenseurs de la désobéissance civile, qui faisait là ses premiers pas, d'abord timides puis plus assurés, à mesure que les soutiens se sont mis à affluer de toutes parts (et que le pouvoir a franchi un certain nombre de lignes rouges également, allant jusqu'à perpétrer un attentat pour effrayer ses opposants, bravo...). D'un coup, les quantités négligeables se sont rebiffées de concert, et, je ne sais pas, ça fait chaud au cœur, d'une certaine façon... Peut-être une indigestion de mondialisation galopante et d'intégration verticale devenue folle. Allez savoir. Je n'étais pas difficile à convaincre, de toute façon, alors parlons plutôt du traitement graphique. Une prouesse que de mener cette croisade d'une décennie à bien, d'autant qu'elle impliquait la réalisation de vastes scènes de rassemblements comportant des dizaines de milliers de personnages. Redoutable, ça. Le dessinateur ne se démonte pas et aligne patiemment les manifestants, les soldats, les moutons, tout comme il ne rechigne pas à entasser les pierres une par une sur les murs des bergeries. Chapeau. Ca m'avait moins frappée dans son Orwell, pourtant soigné. Là, ce sont les jeux olympiques du détail, et ça, moi, j'aime. Il s'est inspiré de photos d'époque et, si on regarde à la loupe, on retrouve de minuscules physionomies étonnamment fidèles dans ses cases au milieu de foules denses. Un fou. Très recommandable, ceci dit. Il fallait aussi croquer fidèlement des personnages connus, Mitterrand ou Bové, dont on traque la ressemblance, c'est parfois risqué, mais respect quand même, parce que, à la fin de cette looongue fable pacifiste, on se sent repu. Et remonté à bloc pour aller ferrailler avec le premier abus de pouvoir venu, sachant, à présent, que des dénouements heureux peuvent parfois se profiler au terme de croisades épuisantes.

Créée

le 27 janv. 2025

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