Le Banquet - La Petite Bibliothèque philosophique de Joann Sfar, tome 1 par Eggdoll
Le Banquet de Platon illustré par Joann Sfar... Quelle association plus déroutante ? Et pourtant, ça marche. Je ne m'attarderai pas ici sur le texte du Banquet lui-même : référez-vous à la page qui traite du dialogue, ce n'est pas le lieu. Non, l'originalité c'est SFAR. Autant prévenir tout de suite, l'édition n'est pas à mettre entre toutes les mains : les puristes adorateurs de Platon tomberaient des nues face à une mise en images aussi... rocambolesque, carrément pornographique à certains moments (mais sans vulgarité, avec classe et fraîcheur), qui va même plus loin en (ré)interprétant le texte du philosophe ; et ce n'est pas du tout un livre pour les enfants, regardez-y à deux fois avant de vous dire que c'est une bonne idée d'offrir à votre petit frère/petite soeur/gosse une "adaptation" d'un bouquin de philo.
Non non non non : Sfar illustre Platon en prélevant ce qui est le plus équivoque dans le Banquet, et effectivement c'est peut-être le dialogue qui offre le plus la possibilité de s'attarder sur les côtés franchement érotiques (mais bien normaux pour l'époque) des turpitudes grecques qui se surajoutent à (voire vont de pair avec) l'aspect philosophique. Ainsi, Sfar nous parle de (car les dessins sont accompagnés de bulles ou commentaires) l'homosexualité des hôtes, du caractère supposément nymphomane de Diotime, et bien sûr de toute la fantaisie de l'androgyne d'Aristophane. C'est assez délectable, souvent très drôle, parfois juste propre à faire sourire, mais toujours de telle sorte qu'on a qu'une envie, c'est tourner la page pour voir les facéties suivantes de Sfar.
Mais le plus intéressant est peut-être encore après : car Joann Sfar ne se contente pas passivement d'illustrer Platon, ni même d'en faire une interprétation qui pourrait paraître simpliste ou volontairement tirée - non, Joann Sfar réfléchit sur Le Banquet, sur la manière de lire et étudier la philosophie, sur ce qu'il lui a semblé comprendre du texte. Et ces quelque dix pages de postface, si je peux utiliser le terme, apportent un éclairage intéressant, original puisque déconnecté des préoccupations métaphysiques des spécialistes mais en même temps à l'appui de références érudites, avec le recul du dessinateur qui voit dans la philosophie du Banquet une allégorie de son art... d'où une conception de l'art qui est proposée, tout en finesse, comme regard vrai sur le réel (pour faire court).
Une réflexion donc à la fois accessible et profonde, surprenante, sur un monument un peu olé-olé (avouons-le hein, parfois c'est un peu ça dans Le Banquet) de la philosophie.
Une "collaboration" très réussie donc, qui offre le double-avantage de fournir le texte original et des notes humoristiques et réflexives, contemporaines. Pour un prix de plus très abordable... Donc si vous n'avez pas encore dans votre bibliothèque Le Banquet, virez vers cette édition :).