Le Centile d'or - Largo Winch, tome 24 par Christine Deschamps

Les recettes sont éprouvées et on peut, au choix, s'en lasser ou s'émerveiller qu'on puisse renouveler à l'infini un genre aussi balisé. J'ai opté pour cette seconde éventualité, parce que, s'il marche franchement sur les plates-bandes de James Bond, Largo Winch a malgré tout son style bien à lui et fraye non pas avec des terroristes internationaux, mais avec les requins de la finance, qui, sous des aspects bien plus amènes parfois, n'en sont pas moins dangereux. Voire plus, si on considère la portée globalisée de leurs exactions. Pourtant, on se méfie moins d'eux. La thèse de ce tome 24, c'est qu'une infime portion de la population mondiale concentre bien davantage de pouvoir que tout le reste réuni, comme les actions de la Bourses représentent davantage de richesse que le PIB mondial. Des situations qui ne laissent pas d'étonner (comment diable a-t-on laissé des états de fait aussi insensés s'établir et prospérer?) et laissent les coudées franches à ceux qui en ont bien conscience pour œuvrer à leur guise en toute impunité. Ici, il s'agit d'une sorte d'Elon Musk qui ne vise rien moins que la colonisation de Mars, pour un coup modique de 100 milliards de dollars. Une somme qu'il suffirait de 100 donateurs ultra-fortunés pour réunir. Ce sont bien entendu eux qui profiteraient de l'élargissement du territoire humainement habitable, au détriment des 99% dont ils ont bien contribué à saccager le lieu de résidence. Il y a donc un propos un peu humaniste, voire passablement gauchiste, dans ce scénario, qui prend pourtant bien soin de ne pas s'engager de façon bêlante, en nous faisant miroiter le luxe et le pouvoir des nantis de manière romanesque et enviable, et participant ainsi, dans le même temps, à l'intoxication des foules par la chimère capitaliste. Ça me fait penser à la dénonciation de la violence dans Natural Born Killers, parfaitement ambiguë elle aussi. Tout dépend donc de la posture du lecteur. Après, il faut en convenir, le dessin est assez phénoménal. Comme les hiéroglyphes, il est apparu tout à fait abouti, dès sa naissance. Comme eux il a traversé les décennies sans péricliter, au contraire : la minutie et la maestria de Philippe Francq me laissent pantoise. Depuis un jubilé, je n'avais jamais eu la curiosité de me renseigner sur ce prodige mais l'aisance dont il fait preuve dans ses sujets archi-ardus m'a poussée à regarder un peu sur le Net qui était ce maestro dont je ne connaissais pas le visage. Me voilà renseignée, d'un certain côté, mais sans aucune explication rationnelle à ce talent ravageur qui lui fait toujours privilégier les motifs impossibles et les cadrages acrobatiques. On ne peut pas se battre contre des dieux, dirait Goscinny... On peut ouvrir n'importe quelle page de ces derniers tomes que j'ai lus depuis Noël et s'abîmer dans une contemplation sidérée. Tout est tellement clair et net ! Expressif et archétypal à la fois. Rigoureux et suggestif néanmoins. Au point que je suis prête à pardonner la caricature des nanas à forte poitrine systématique, passage obligé de la saga, qui me fait râler à chaque fois mais ne me dissuade jamais de poursuivre ma lecture, tant la maestria graphique et la maîtrise narratives sont addictives !

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le 14 janv. 2024

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