On ne voit bien qu'avec le coeur

L’histoire démarre dans une salle de concert, au moment où une violoncelliste est sur le point de passer une audition. Cette musicienne, c’est Marie-José, une jeune fille à la chevelure rousse un peu sauvage et aux grandes lunettes rondes. Pour Marie-José, que ses proches appellent Marie, l’enjeu est énorme, car c’est maintenant qu’elle joue sa place dans cette prestigieuse école de musique dont elle rêve depuis tant d’années. Heureusement, elle peut compter sur Victor, son tourneur de pages, qui est à ses côtés pour cette audition cruciale. Mais est-ce seulement son tourneur de pages? Quelle est réellement la relation entre Marie et Victor? Lorsque l’archet de l’adolescente effleure les cordes de son instrument et que la musique s’élève, on retourne dix mois en arrière, au moment de la rentrée en 4ème. A l’époque, on peut dire que l’école ne passionne vraiment pas Victor, qui est un garçon attachant mais turbulent, aux résultats scolaires catastrophiques. Lui, ce qui l’intéresse avant tout, ce sont ses répétitions avec son groupe de rock La Chignole, les discussions interminables sur la stratégie aux échecs avec son copain Haïçam et les concours avec son père sur celui qui en saura le plus sur les voitures Panhard. Autant dire que Victor, qui vit seul avec son paternel depuis que sa maman a quitté la maison, n’attend pas grand-chose de cette nouvelle année scolaire qui démarre. Enfermé une fois pour toutes dans la catégorie des cancres, il se prépare à fréquenter régulièrement le bureau du directeur, qu’il surnomme Lucky Luke, en raison de son insolence en classe. Mais tout va changer lorsque Marie-José, une élève à la fois jolie et intelligente, lui propose de s’asseoir à côté de lui. Lors d’une interro de maths, elle lui permet de copier sur sa feuille et à sa grande surprise, Victor obtient un 20 sur 20. Tout à coup, l’image du jeune garçon change auprès de ses professeurs et camarades de classe. Ils se disent que finalement, il y a quand même du potentiel chez ce gamin. Au début, ce nouveau statut l’angoisse fortement, mais Marie lui propose un coup de pouce supplémentaire, en l’invitant à venir travailler chez elle pour l’aider à rattraper son niveau dans toutes les matières. Pour Victor, c’est inespéré, même s’il ne comprend pas très bien pourquoi une fille aussi belle et aussi brillante s’intéresse à quelqu’un comme lui. Au fil des mois, une amitié de plus en plus forte va naître entre ces deux ados que tout oppose. Jusqu’au jour où Marie révèle à Victor le terrible secret qui la ronge, et que personne ne doit découvrir. Cette fois, ce sera à son tour de l’aider…

"Le cœur en braille" est ce qu’on appelle une BD feel good. L’histoire est simple et sans chichis, mais tellement pleine de générosité et de tendresse que l’on ne peut que se sentir mieux après avoir refermé le livre. Et c’est déjà un bel exploit, car provoquer un sourire n’est pas chose aisée dans notre époque de crises perpétuelles, de conflits et d’esprits chagrins. Derrière ce joli livre à la couverture attirante, dont le titre est écrit en relief, on retrouve le scénariste Joris Chamblain, connu surtout pour son best-seller "Les carnets de Cerise", et la dessinatrice Anne-lise Nalin, dont le dessin expressif et doux fait des merveilles. A deux, ils signent une version BD particulièrement convaincante du roman "Le cœur en braille" de Pascal Ruter, déjà adapté au cinéma par Michel Boujenah en 2016. Si leur adaptation de cette histoire d’une jeune fille qui séduit un garçon pour qu’il devienne ses yeux fonctionne tellement bien, c’est parce qu’elle se révèle aussi efficace et bien construite qu’une bonne série. Savamment équilibré, le récit concocté par Joris Chamblain mélange habilement les moments d’humour et d’émotion, tout en révélant petit à petit les éléments-clés du récit, sans jamais perdre le fil. Evidemment, dans la mesure où il s’agit d’une histoire d’amour entre deux ados, c’est une BD qui va parler en priorité à un public d’adolescents et de jeunes adultes. Mais pour être honnête, elle plaira sans doute à des lecteurs de tous les âges, notamment ceux qui sont en quête de belles histoires de résilience. Car malgré l’épreuve qui la frappe, la courageuse Marie-José ne baisse jamais les bras, portée par sa passion pour la musique. Et puis surtout, il y a deux grands éléments qui font de cette bande dessinée une réussite. Le premier d’entre eux, c’est le duo formé par Marie-José et Victor, qui fonctionne à merveille. Certes, on a déjà lu un nombre incalculable d’histoires dans lesquelles une fille et un garçon que tout oppose vont inévitablement finir par se rapprocher. Mais malgré tout, même si ce truc de scénariste est vieux comme le monde, on se laisse encore une fois prendre. Pourquoi? Tout simplement parce que les deux personnages principaux de cette BD sont à la fois crédibles et attachants. L’autre élément à retenir, ce sont les dessins d’Anne-lise Nalin. Ils sont à la fois tendres et modernes, tout en suscitant énormément d’émotion. Autant dire qu’on a hâte de découvrir les futurs albums de cette illustratrice de talent!

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