Ho non, ho non, ho non. Pas celui-là. J'ai décidé de relire Larcenet. Autant ses petits albums chez Fluide et Cie ça ne me dérange pas de ne plus les apprécier, autant cette oeuvre importante dans le parcours de l'artiste, je voulais continuer de l'aimer. Je m'attendais d'ailleurs à passer un bon moment tant j'en ai gardé de bons souvenirs. Cet album j'ai dû le relire 3 ou 4 fois (en fait, à chaque fois que sortait un nouvel opus, je relisais tout) pour à chaque fois en tirer une grande satisfaction. Pire, c'est avec une BD comme ça que j'ai commencé à trouver de quoi je voulais parler dans les miennes (avec tout de même l'appui de Crumb et Joe Matt mais heureusement, je pense que ce sont surtout ces deux auteurs là qui m'ont influencé) ; je me souviens que de la clique Sfar-Trondheim-Larcenet, c'est le dernier qui m'intéresse le plus. Vu ce que je pense des deux autres, c'est toujours vrai, mais c'est avec moins d'enthousiasme (et puis il faudra que je lise plus de Trondheim et de Sfar, on ne sait jamais). Soit...
Le scénario est assez pauvre. Il ne se passe pas grand chose. Larcenet me donne l'impression d'être un type passablement chiant dans la vie. Ou alors est-ce juste ses BD ? Parce que quand je lis ses projets plus personnels, j'ai l'impression d'entendre un adolescent geindre constamment : je suis malheureux, j'ai fait mon service militaire, je suis bipolaire, j'ai des crises d'angoisse, les gens sont méchants, je suis un être bouleversé en perpétuelle quête de soi-même, ... grandis un peu sacré nom d'une bitte de bois ! En tous cas, son personnage, alter ego je suppose, ne fout pas grand chose si ce n'est fuir. Il ne vit pas vraiment de conflit, il passe juste son temps à râler ou profiter de 'rien' (c'est-à-dire regarder son chat ou la nature). Sans que le récit ne soit contemplatif pour autant. Bavard, cet album l'est assurément. Et tout ça pour nous donner des leçons de vie, les vérités selon Môssieur Larcenet ; il intègre ces horribles pages de 'photographies' dans lesquelles il parle pour ne rien dire : je trouvais ça génial avant car ça fait son petit effet, ça rend le tout plus personnel, mais aujourd'hui que je suis devenu un adulte qui se rase les poils de couilles, je me dis qu'il ne raconte pas grand chose dans ces petites digressions, il tourne autour d'une idée sans jamais la percer, l'exposer, il se contente de présenter la surface, toujours comme s'il s'agissait d'une vérité profonde, et surtout ça ne sert à rien dans la narration, on pourrait sucrer ces pages, on en serait exactement au même point tant par rapport au récit que l'état psychologique du personnage. Cela fait tout de même son petit effet, mais c'est de la poudre aux yeux quand on pousse l'analyse un peu plus loin.
La narration est assez chaotique : l'auteur ajoute des idées diverses un peu partout, rien n'étant jamais traité en profondeur. Ainsi donc, je ne me rappelais même pas qu'il y avait déjà des commentaires sur la politique en cours et pour cause, ces passages sont totalement insignifiants : c'est comme si l'auteur espérait encrer son récit dans une réalité plus tangible, sauf que ce n'était absolument pas nécessaire. C'est aussi une manière assez maladroite de renforcer le mal-être du personnage (comme si l'auteur estimait que ce point permettrait de mieux saisir ce que le personnage ressent ?) : au final, peu importe les raisons qui ont poussé Larcenet à intégrer ce genre d'éléments, le résultat, c'est que ça ne sert à rien, qu'il assemble des petites choses et qu'il n'en fait rien.
C'est comme quand le héros découvre que le vieux papy était un tortionnaire : ça arrive un peu n'importe comment (enfin en relisant je me suis aperçu que les dialogues sont bien lourds de sous-entendus) parce que c'est traité, à nouveau, de manière très superficielle et surtout parce qu'on ne voit pas trop le véritable impact sur le reste de l'histoire (en plus, le papy, il est doué pour faire des phrases de sage qui ne veulent rien dire, il serait amusant de les isoler et de les compiler dans un bouquin). En faire une partie du climax final, c'est encore plus ridicule (sérieusement, une histoire sur la vie, et le héros qui se rend compte que tout n'est pas blanc ou noir en guise de conclusion alors que depuis le début il nous bassine avec sa sagesse ? - bon on peut supposer que les instants photographiques/philosophie de comptoir soient des flashforward mais quand même ça fait un peu con).
De même que ce voisin qui menace et avertit constamment le héros, c'est juste pénible. Surtout que l'histoire se déroule sur plus d'un an de vie ! Cette donnée elliptique rend ces scènes peu crédibles (soit ça a lieu également durant les ellipses et là on ne comprend pas pourquoi il n'a pas déjà flingué le chat, soit il ne s'est rien passé et dans ce cas ce personnage apparaît trop souvent pour que son comportement paraisse assez fou : je veux dire que présenté comme tel il a l'air trop normal, même s'il pète les plombs à un moment, disons que Larcenet ne prépare pas assez bien le terrain, que pour marquer un comportement lunatique, il ne suffit pas de faire n'importe quoi à un personnage, ça doit se travailler dans les mises en situation et dans l'exploitation de ses traits de caractère).
Pas de conflits, pas de tension... quoi d'autres ? pas de personnages non plus : à part geindre ils ne font pas grand chose, ils ne sont définis que par leur râle. Au final, je ne les ai pas sentis 'vivants' au fil des pages. Ils ne font rien de leur vie, ils n'ont pas vraiment de passions, c'est comme s'ils étaient déjà morts. Pas dans le sens utile à la narration, où l'apathie serait un trait de caractère. Non juste, vraiment, que ces personnages ne sont pas construits, ils ne sont que des images incomplètes. Pas de caractérisation non plus, donc il en ressort des scènes assez fades ou l'on pourrait interchanger les rôles sans problèmes, sans que ça ne change rien à l'histoire. Pas d'objectif principal non plus : Larcenet ne semble pas trop savoir où il va. La seule chose qu'il semble savoir, c'est qu'il veuille aborder ses crises d'angoisse. Et il le fait avec si peu de subtilité. Que le lecteur voit ce que le personnage ne voit pas n'est pas un problème (parce que bon, l'élément déclencheur des crises est assez évident), mais que l'auteur ne l'exploite jamais qu'il se contente de le montrer par répétitions sans chercher à aller plus loin, c'est extrêmement pauvre comme choix narratif.
Malgré tout cela, je dois avouer que l'album se lit assez facilement. Peut-être parce que l'auteur ne prend aucun risque au niveau des conflits, que tout est fade, qu'il ne créée aucune attente, ben on n'en sort pas vraiment déçu. C'est un peu comme une publicité : je la regarde comme un produit contemplatif qui ne changera pas grand chose à ma vie. C'est quelque chose de vite vu, vite oublié, quelque chose d'insignifiant. Je ne m'emmerde pas en la regardant, mais je ne vais pas non plus en faire l'éloge. C'est pareil ici. Larcenet insère des dialogues, ses scènes sont relativement courtes, donc même s'il n'approfondit rien, au moins, on a cette sensation de zapping qui maintient en éveil.
Le dessin, j'avoue que j'ai toujours eu un peu de mal mais sans jamais oser le dire. Aujourd'hui, je le répète, je suis un adulte qui se rase les poils de couille et j'ose dire ce qui cloche. Surtout que je me sens un peu plus capable de comprendre ce qui cloche à mes yeux. En soi, il a un beau trait. Mais il a tendance à en faire trop parfois, surtout quand il imite la photographie (les cases les plus moches, sauf pour la quatrième de couverture, l'exception). J'aime bien ses personnages aussi, du moins les masculins, parce que ses gonzesses, elles sont trop rigides, elles manquent de souplesse et leur canon dénote avec celui des mecs (surtout Emilie). Ce sont surtout les décors qui font souffrir : soit il n'y a rien (épuration totale), soit il y a trop (accumulation des petits traits inutiles). J'exagère, il y a aussi des décors dans le juste milieu. Mais il y en a trop dans les deux extrêmes qui perturbent l'équilibre des pages à cause d'un découpage qui semble fait case par case.
Ainsi donc, pas de page jolie à regarder, pas de jeu avec le regard du lecteur, pas d'équilibre recherché dans la mise en page (cela se ressent même au travers de l'espace entre les vignettes : ça m'avait toujours dérangé, mais je ne savais pas trop pourquoi, aujourd'hui je pense que c'est parce que ça casse la page, que ça casse la fluidité de la lecture aussi, qu'on a le temps de voir, de remarquer cette rigole avant d'accéder à la vignette suivante). La mise en scène est assez pauvre également. Je trouve les cadrages répétitifs. C'est d'autant plus gênant quand l'auteur essaie de faire de l'humour mais j'y reviendrai plus tard. Disons qu'il n'explore pas assez les possibilités de son médium. Peut-être à cause du style gros-nez ? C'est marrant parce que dans "Blast" et dans "Presque", l'auteur expérimentait beaucoup (trop), alors qu'ici, il a l'air coincé dans son système et les rares moments où il se lâche (paysages, pages photographiques) sont peu intéressants car très pauvres picturalement. Bon il reste quelques dessins sympathiques, j'aime notamment ses plans du bateau ou de la maison des parents.
Ses personnages n'ont pas de très bonnes gueules je trouve. Peut-être est-ce trop rond ? Je ne sais pas. Avant, je trouvais que ça fonctionnait par rapport à l'histoire mais là je n'en suis plus très sûr : on attend constamment que viennent les calembours et il n'arrive pas à rendre sérieux les instants dramatiques. Pourtant d'autres auteurs y arrivent un style tout aussi peu réaliste. Je pense que c'est lié à son découpage et au trop gros vide de certaines cases. Les personnages sont expressifs, mais les expressions sont peu variées. On sent un effort du côté des vêtements, mais je les ai trouvés mal dessinés (ceux d'Emilie surtout, parce que ceux des mecs, bizarrement, ça fonctionne mieux). Les couleurs sont un peu fades. Et en même temps ça part un peu dans tous les sens. J'en reviens à la mise en page : on ne ressent pas d'homogénéité à cause de ce panel toujours trop large. Il reste tout de même quelques instants très sympas, quelques ambiances bien travaillées, mais globalement, ça m'a paru pauvre.
J'en reviens à l'humour. Je ne le trouve pas réussi. Il y a quelques passages qui fonctionnent, où l'auteur installe une complicité entre ses personnages. Mais il ne va pas assez loin. Puis il reste le bon vieux coup de la répétition de cases pour instaurer de l'humour. Avant je trouvais ça marrant. Ce n'est pas Trondheim et ses compères qui ont inventé ce système qui rappelle le strip, mais ils l'ont relancé on va dire, à leur sauce. Le problème, c'est que tout le monde l'a refait suite à cela. Et que maintenant on retrouve ce procédé dans une BD sur deux. C'est un genre de phénomène qui peut envahir n'importe quel artifice nouveau. Sauf que souvent, on remarque que les copieurs le font moins bien que les précurseurs. Ici pas vraiment. Je me rends compte que ce système est tellement pauvre et facile qu'il n'est juste plus drôle. C'était marrant à l'époque quand c'était frais et neuf, mais quand on a vu des centaines de fois ce procédé, on se lasse tout simplement. Pourtant il y a des moyens de l'utiliser correctement, d'ailleurs, certains auteurs l'emploient bien. Et même Larcenet y arrive parfois aussi. Exemples : dans les planches 2 et 4, il emploie ce procédé sans succès. Dans la planche 10, il étire ce procédé pour raconter quelque chose, et là ça devient intéressant et pertinent d'avoir cette répétition. Et là, l'humour fonctionne un peu plus (même si la mise en page gâche un peu l'effet).
Bref, je m'attendais à passer un bon moment et je me retrouve finalement avec un sentiment d'indifférence avec cet album. Il possède des qualités même si j'ai surtout axé ma critique sur les défauts (en même temps il fallait que je me rende compte de l'évidence, que je m'explique pourquoi je n'étais pas plus enthousiaste à la lecture de ces pages). Je vais me taper les trois autres albums prochainement. Le plus drôle serait que le tome 4, que j'avais détesté à l'époque et que je n'ai jamais relu, devienne mon préféré, haha...