Quand j’ai aperçu ce manga dans ma librairie, sa couverture et son titre ont emprisonné mon regard et je n’ai pu m’empêcher de l’acheter ! Passionnée par l’histoire japonaise, j’ai été attirée par la présence de cette fille de joie dans un cadre européen, me questionnant sur l’histoire qui pourrait y être caché.
Le dernier envol du papillon raconte une partie importante de la vie de Kicho, la courtisane la plus en vogue dans le quartier des plaisirs de Maruyama à Nagasaki. Dans les premières pages, on découvre tout d’abord le statut de femme de joie à la fin de l’époque Edo (+- 1855) : vendues alors enfants, elles sont formées à devenir de magnifiques femmes parées richement pour distraire et apporter du bien-être aux hommes. Elles se doivent donc d’être belles, bien apprêtées, cultivées, douces et patientes. Après s’être accoutumé à cette réalité, on pénètre ensuite doucement dans l’intimité de la vie de Kicho, qui accepte tous les clients qui se présentent devant elle, qui aime se rendre à Dejima – l’île réservée aux étrangers – et qui a apparemment un frère gravement malade pour lequel elle s’inquiète. Mais derrière tout cela, elle semble cacher un secret qui la rend bien calme et mélancolique en comparaison des autres courtisanes de la maisonnée.
Se cache déjà dans le titre un pincement au coeur, une tristesse, un déchirement, que l’on s’attend à découvrir au coeur des pages. On le voit se révéler au fur et à mesure, à l’image des couches de kimono qui se retirent les unes après les autres pour dévoiler la personne telle qu’elle se présente naturellement. Comme dans beaucoup d’oeuvres japonaises, les émotions sont totalement induites, jamais clairement énoncées. On les ressent via la narration très étalée et via les dessins. Il faut donc prendre le temps d’observer les scènes, les regards qui s’y échangent, les paroles cachées derrière les silences… Le dernier envol du papillon est une oeuvre sentimentale qui ne pourrait laisser personne de marbre devant l’amour si puissant et pur qui s’y trouve.
Outre le récit, j’ai également apprécié observer le monde des courtisanes de Nagasaki. Ce manga est une véritable ouverture vers un univers unique et particulier au Japon. On y découvrir les coutumes de ces femmes dont la vie se résume à satisfaire pleinement leur client avant de mourir régulièrement d’une MST. Une vie bien pénible dont certaines arrivent à s’échapper en se faisant racheter par un homme qui les désire jalousement ou qui les aime profondément. Comme j’adore l’époque Edo, j’ai été plus que ravie de pouvoir m’échapper un peu dans les rues de l’ancien Japon où la beauté était l’attribut le plus recherché. D’autre part, j’ai également été enchantée de découvrir un pan de l’histoire de la médecine au Japon, via le médecin étranger qui se propose d’enseigner son savoir à qui veut apprendre.
Enfin, j’ai été sous le charme tout au long de ma lecture des dessins de Kan Takahama. J’ai adoré ses portraits de femmes et principalement de Kicho, qui attire toute l’attention. Les coiffures et les kimonos sont absolument ravissants et l’ajout de quelques pages en couleur au milieu du livre permettent de les admirer davantage. J’ai été surprise de voir que les pages de la mangaka sont beaucoup plus sombres que celles des mangas habituels. Les marges sont noires et les tons gris sont fort présents, offrant une certaine intimité ainsi qu’une douceur dans le regard qu’on pose sur les planches. La poésie et la mélancolie qu’on ressent dans l’histoire sont soutenues par ce graphisme qui rappelle par moments la calligraphie ou l’aquarelle. On a l’impression d’être aspiré dans les pages et de n’être capable d’en ressortir qu’avec la blancheur criarde de la postface.
Je pensais ne pas connaitre Kan Takahama, mais en faisant des recherches après avoir terminé ma lecture, j’ai compris que je la connaissais via le titre Kinderbook. L’ayant lu il y a de ça plusieurs années (au moins 10 ans !), je ne me souviens ni de son contenu, ni si je l’avais aimé ou non. Il s’agit pour moi d’une occasion en or de m’intéresser cette fois plus profondément à l’oeuvre de cette mangaka, dont j’ai adoré les traits de dessin et la douce narration.
Le dernier envol du papillon est un manga d’une incroyable beauté, autant dans ses graphismes que dans son récit. La mangaka, Kan Takahama, nous offre une oeuvre d’une grande intimité et très poétique. Comme un coup d’oeil dans le trou d’une serrure, on découvre en toute discrétion la culture des filles de joie, les coutumes de l’époque et l’histoire de la médecine dans ce vieux Japon de la fin du 19e siècle. Ce voyage dans le temps et l’espace couplé à une histoire sentimentale est un ravissement pour les yeux et le coeur !
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